Le trip d’une palanquée de lémuriens sous techno est plus roboratif qu’une séance de psychanalyse
C’est l’histoire d’un impossible. L’échouage, après un périple en mer, sur les côtes malgaches d’une bande d’animaux sauvages du zoo de Central Park à New York (un lion, un zèbre, une girafe et un hippopotame en mal de liberté) et qui vont rencontrer des lémuriens fêtards de la Grande Ile. Une rencontre impossible en réalité puisqu’il n’y a ni lion, ni zèbre, ni girafe, ni hippopotame à Madagascar, riche d’une exceptionnelle faune où pullulent en revanche 69 espèces et sous-espèces de lémuriens, ces petits primates trouvant là un habitat privilégié et presque unique. Mais quoi, cet impossible est-il le fruit d’une quelconque volonté de privilégier l’écotourisme de Madagascar ?
Avec, derrière les décors, le studio d’animation américain DreamWorks dirigé par Jeffrey Katzenberg, (dont Steven Spielberg est l’un des fondateurs) et qui a à son actif Shrek 1 et Shrek 2, on en doute. En fait, avoue Kartzenberg — qui a tout de même promis de verser 500 000 dollars pour aider à promouvoir l’écotourisme malgache — , “Madagascar est un nom magique, c’est pourquoi nous l’avons choisi” (pendant que le Wall Street Journal révèle qu’ “aucun membre de l’équipe du tournage du film n’y a jamais mis les pieds”). Loin d’un impossible utopique, DreamWorks mise bien plutôt sur Madagascar pour rivaliser avec les studios Pixar (fondés par le PDG d’Apple Steven Jobs et qui ont produit d’importants succès en salles ces dernières années, de Toy Story aux Indestructibles). Magagascar ou l’art de se renouveler, après Fourmiz et Gang de requins, ainsi qu’une poignée de produits sous-disneyens (La route d’Eldorado, Spirit, l’étalon des plaines, Le prince d’Égypte) … et d’échapper au Shrekisme à tout vent.
Zoothérapie
L’histoire donc. Un lion (Alex), un zèbre (Marty), une girafe (Melman), un hippopotame(Gloria) et une poignée de pingouins psychotiques fuient leur zoo new-yorkais pour secourir l’un des leurs. Marty rêve en effet d’aventure, son but ultime étant de visiter le Connecticut. Rapidement capturés, les quatre compères se retrouvent embarqués sur un paquebot en direction pour l’Afrique, mais le sabotage de ce dernier par un gang de pingouins les fera échouer sur une île paradisiaque. Réunis sur Madagascar, ils doivent apprendre en quatrième vitesse les rudiments de la vie à l’air libre et que le bonheur dont ils jouissaient avant en échange de leur spectacle se mérite…
De nouveaux protagonistes et de nouvelles aventures soit, mais le fond (accumulation de gags dans une intrigue fort linéaire), las, n’est guère changé et le divertissement de ce long-métrage d’animation familial demeure très premier degré. Sans peine retiendra-t-on cette belle amitié entre quatre animaux qui décident de mettre les bouts de la grand’ville pour retrouver un paradis (fantasmé) originaire et naturel qu’ils n’ont jamais connu tandis que les animateurs, n’oubliant pas les adultes qui pourraient traîner par ici, s’en donnent à coeur joie avec de multiples allusions et références musicales (disco seventies : Stayin’ alive, Boogie Wonderland, I like to move it move it…) ou cinématographiques (par exemple : New York, New York, La planète des singes, American beauty, Seul au monde ou encore Les charriots de feu), ce septième art « réel » qui n’est point oublié par son grand frère virtuel.
Il n’empêche, la finition et l’animation techniques des personnages caricaturaux — aussi lisses et stylisés que les décors ultra colorés en clin d’oeil aux tableaux du douanier Rousseau — sont beaucoup plus brutes que dans Shrek : un choix délibéré comme mis au service du pur divertissement mais qui déplaira …aux (vrais) puristes justement.
Guère durables et crédibles les névroses du quatuor à pattes n’ont rien de transcendant ; le changement de comportement du lion Alex — habitué jusqu’ici à ses soins manucures, son brushing journalier ainsi que ses repas à heure fixe — se découvrant un appétit de prédateur ne fait peur qu’à lui-même. Le zèbre ne parvient pas plus à justifier auprès d’Alex en quoi se nourrir de viande est répréhensible (le végétarisme repassera). L’aliénation animale dépeinte le cède ainsi vite au délire festif : le trip d’une palanquée de lémuriens sous techno est plus roboratif qu’une séance de psychanalyse.
Autant s’éclater comme des bêtes puisque penser fait souffrir. Et voilà : les bestioles courent dans tous les sens, mettant au passage leur férocité au placard et l’horreur de la vie sauvage (avec ses prédateurs et sa chaîne alimentaire : rendu à son instinct le lion bouffera-t-til ou non son meilleur ami le zèbre en lequel il voit en montagne de steaks ?) n’est finalement jamais illustrée, le film « s’inspirant » plus que largement de 1001 pattes ou de L’âge de glace.
Y a-t-il une vie après le steak ?
Heureusement, les pingouins méchants rajoutent du piment avec leur rôle de seconds couteaux et la transition entre New York et Madagascar est impeccable. La suite (la critique des produits dérivés et de l’industrie du spectacle ) est plus convenue et l’on est surtout déçu par le traitement ironique de l’obsession toute urbaine du retour aux sources par laquelle s’ouvre le film. Car en matière de nature idyllique, on nous propose un Madagascar sans humains où ne s’agitent que quelques espèces animales (des lémuriens, des simili hyènes et une araignée…). La civilisation n’en ressort pas spécialement mise sur la sellette, l’appel de la loi de la jungle n’autorise aucune mise en abyme particulière : relire Machiavel, Hobbes, Locke et Rouseau stimulera davantage.
L’île sauvage devient un Club Med où la nature semble fort anthropomorphisée encore. Plus de différence alors entre le zoo new-yorkais, l’île et le film : tout y est confortable, luxueux, douillet et drôle …mais sous contrôle.
Autant croire qu’il est fun et hilarant de rouler les cheveux au vent sur l’autoroute parce qu’on y serait libre de toute entrave ! A quoi bon s’évader du zoo new-yorkais pour se créer ici d’autres barreaux tout aussi artificiels ? Fallait-il d’ailleurs s’attendre à autre chose puisque, aussi bien, de l’aveu du patron de DreamWorks, Madagascar ne valait depuis le départ que comme un fantasme (idéal, virtuel) pour Américains s’excitant sur un nom exotique ?
Exit la narration et la rythmique, après le steak urbain, il y a une pseudo vie où on rêve d’un substitut insulaire de steak. Le What’s a wonderful world résonne moins in fine comme un air parodique que comme un hymne à la coexistence pacifique de nos amies les bêtes. Celle-là même qui déjà régnait dans leur zoo.
Alex, Marty, Melman et Gloria gagnent ici la dance music sous le soleil en sus : tout ça pour ça ? Pixar peut se rendormir tranquille.
Madagascar
Réalisé par :
Eric Darnell et Tom McGrath
Acteurs :
Ben Stiller, Chris Rock, David Schwimmer, Jada Pinket Smith
Durée :
83 minutes
Suppléments :
- C’est parti en live.
– Rencontre avec les acteurs.
– Les coulisses du tournage.
– La technologie de Madagascar.
– Commentaire audio.
– L’île enchantée.
– Bandes annonces.
– Galeries d’images.
– Enfants Dreamworks.
– Christmas Caper.
– Commentaire des pingouins.
– Derrière l’igloo.
– Rencontre avec les pingouins du zoo de Central Park.
– Petits jeux interactifs.
frederic grolleau
Eric Darnell et Tom McGrath, Madagascar
édité par Dreamworks, 22 décembre 2005 — 20,00 € / Format 1.85 — 16/9 compatible 4/3 — Double couche Langages : Anglais DD 5.1 — Français DD 5.1 Sous-titres : Anglais / Français / Arabe