Didier Ayres, Particularités du signe

Parti­cu­la­ri­tés du signe 

image: Henri Michaux, Idéo­grammes en Chine, Fata Mor­gana, Mont­pel­lier 1978, 13,5x24,5cm, broché.

Le signe. Uti­lisé de façon pro­fuse. Pour lequel les théo­ries sont nom­breuses. Je n’ai ici que ma plume au cou­rant de la page pour faire quelques dis­tinc­tions et par­ler des par­ti­cu­la­ri­tés que le signe a pour moi.
L’épithète même repré­sente, à mes yeux, toute une poé­tique. Épi­thète qui me vient d’ailleurs quand je cherche un mot pour un poème, et encore plus sou­vent quand je rédige des dédi­caces par exemple. Écrire lui est sou­mis. Ne serait-ce que par les signes gra­phiques de l’écriture et davan­tage pour les langues idéo­gra­phiques, sino­grammes, pictogrammes.

J’aime mieux le signe quand il se leste de la signi­fi­ca­tion, qu’il s’en allège. Je fer­me­rais donc le signe sur ce qu’il ne dit pas, sur un sens plu­ri­voque, celui dont le poète a besoin.
Ainsi, le signe de croix se résume très vite à quelque chose qui le dépasse. Signi­fie davan­tage que le geste de la main. Signe qui ferme ou ouvre la prière du croyant. Il est spi­ri­tuel à la condi­tion de ne pas être une expli­ca­tion théo­lo­gique en soi, même s’il est pos­sible de dis­cou­rir théo­lo­gi­que­ment sur la forme de ce signe.

Il recouvre. Il cou­ronne. Il évoque. Il ne me dit rien de par­ti­cu­lier sinon en sa réa­lité sub­su­mée, sa cohé­sion, son pou­voir de relier l’homme à une idéa­lité.
Il fait épis­sure. Il auto­rise le pas­sage de l’existence à la non-existence.

Cela dit, je com­mence ces lignes par un cas très sin­gu­lier. Mais j’essaie de racon­ter en quoi le signe se dis­tingue de sa valeur séman­tique. Car selon moi, il ne dit pas une réa­lité. Il ne dit rien, en vérité. Il est. Un sup­port. Une trans­la­tion.
Voire une tran­si­tion entre deux états dis­tincts de la langue. Il vaut pour son énigme. Le seul vocable de signe vise à dire les choses dans leur plu­riel. Conduit à lui seul vers ailleurs. Joint.

Est-il méta­phore, sup­port d’une image, valant pour une idée, une démons­tra­tion qui s’augmente en elle-même ? Per­son­nel­le­ment, je le ver­rais en lien avec le sym­bole. Sym­bole qui a tou­jours été pour moi une concep­tion intel­lec­tuelle dif­fi­cile et aléa­toire.
Je ne retiens de cet élé­ment tex­tuel que sa maté­ria­lité de sym­bo­lon, tes­son de pote­rie cas­sée. Donc une sorte de dédou­ble­ment et de rac­cord. Le signe par­ti­cipe de cette déchi­rure. Lui aussi est double, tendu entre sa forme et sa masse.

Je ne cesse de son­ger à ce beau titre de Roland Barthes au sujet du Japon : L’Empire des signes. Cet empire jus­te­ment évoque le signe en lui-même, comme si le signe était lui-même un empire. Sans lui, pas de lit­té­ra­ture. Pas d’objet pou­vant cor­res­pondre à une idée plus vaste que lui. Rien, sinon le pays mort des syn­tagmes, des figures sans amour par­fois décrites par la lin­guis­tique, pau­vreté, indi­gence inté­rieure.
Le signe aug­mente. Il oblige à regar­der plus amplement.

Sans doute, mon pro­pos est-il sujet à des approxi­ma­tions, des litiges, des erreurs, des sauts concep­tuels aléa­toires, au fil d’une pen­sée hasar­deuse, ou peut-être mal construite. Je l’assume dès lors.
Car je crois que le poète se doit de crayon­ner sa feuille, de viser par­fois trop large ou trop court, de ne se sen­tir bien qu’au milieu de ses empreintes. C’est ce qui lui reste. Et cela sans égard pour la signi­fi­ca­tion, qu’il doit déplier et rendre caduque, au risque de pro­duire une poé­sie sans vigueur.

Mais, je sais que la poé­sie gagne tou­jours. J’en suis sûr.
Et c’est une leçon que je reçois de notre époque de troubles et d’angoisse.

didier ayres

Leave a Comment

Filed under En d'autres temps / En marge

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>