Raymond Khoury, Le Secret ottoman

Ah, que l’uchronie est belle !

Qui n’a pas rêvé d’un voyage dans le temps en se disant que chan­ger le cours d’événements mêmes mineurs serait bien ? Ray­mond Khoury fait débu­ter le sien en Syrie, à Pal­myre, à l’automne 2015.
Mais, il place son point de diver­gence lors de ce siège de Vienne qui vit, dans notre his­toire, la déroute des forces otto­manes en 1683. Il ima­gine la pour­suite de la conquête, l’Occident qui passe sous la coupe d’un régime musul­man, une situa­tion qui per­dure au moins, jusqu’en 2017. 
En effet, c’est la date rete­nue pour la par­tie la plus consé­quente de l’intrigue car des pro­grès ont été faits dans de nom­breux domaines tech­niques, tech­no­lo­giques. Seul le sta­tut de la femme, mal­gré les ten­ta­tives du pré­cé­dent sul­tan pour écar­ter un peu les mâchoires du car­can qui la broie, reste inchangé. Mais, dans ce monde musul­man, une cer­taine grogne s’installe depuis que le libé­ra­lisme du pré­cé­dent sul­tan est mis à mal. De plus, peut-on voir détruire ce que l’on consi­dère comme l’œuvre de sa vie, sa créa­tion, ce monde tel qu’il a été voulu par un individu ?

Mehmed dort pai­si­ble­ment dans son palais de Top­kapi, à Istan­bul, en cette nuit de sep­tembre 1682. Un fré­mis­se­ment de l’air le réveille… pour voir un homme nu près de sa couche. Celui-ci le tran­quillise. Il est venu pour se mettre à son ser­vice et à celui du vizir, leur évi­ter une défaite catas­tro­phique. Il lui assure la prise de Vienne, cette ville contre laquelle les Otto­mans, sous les règnes pré­cé­dents, ont échoué deux fois.
En ce début de sep­tembre 1683, l’armée de la chré­tienté, sous les ordres du roi de Pologne, arrive pour déli­vrer Vienne assié­gée par les Otto­mans. Autour du roi, tous les princes et géné­raux sont réunis pour entendre la messe avant la bataille. Un émis­saire du sul­tan arrive et veut par­ler au roi de la part de son maître. Intri­gué, celui-ci le laisse appro­cher et tout explose, l’émissaire bien sûr, mais tout l’État-major. L’armée n’étant plus com­man­dée, c’est la déroute.

À Paris, de nos jours (juillet 2017), Ayman Rachid arrive sur le bord de la Seine après un saut dans le temps. Il est gra­ve­ment malade.
Kamal et Tay­mour, tous deux agents de l’unité anti­ter­ro­riste de la police secrète du Sul­tan, sont à l’honneur dans la cour de la mos­quée, la cour prin­ci­pale du bâti­ment ancien­ne­ment appelé Les Inva­lides. Ils ont déjoué un atten­tat et assistent à la déca­pi­ta­tion des cou­pables. Si Tay­mour est radieux, Kamal est mal à l’aise. L’un des hommes exé­cu­tés est un ami de Nis­rine, sa belle-sœur, une avo­cate dont il est secrè­te­ment amou­reux. Son frère, anes­thé­siste dans le prin­ci­pal hôpi­tal de Paris, est confronté à un homme étrange, dan­ge­reux, au corps cou­vert de tatouages. Quand les auto­ri­tés veulent l’interroger, tout dérape. Et Kamal va se trou­ver engagé dans une course-poursuite pour…

C’est autour de ces idées que s’articule l’intrigue, une intrigue mus­clée où tous les coups sont per­mis, où rien n’épargne les pro­ta­go­nistes. Paral­lè­le­ment, Ray­mond Khoury déve­loppe son nou­veau monde de belle manière, le construi­sant avec cohé­rence, ima­gi­nant des situa­tions fort pro­bables. Il s’inspire de réa­li­tés de notre civi­li­sa­tion pour les pro­je­ter, avec à-propos, dans son uni­vers.
Et la conclu­sion réserve un joli lot de sur­prises. L’auteur montre com­ment peut se faire l’absorption d’un mode de société par un autre, sans vio­lences san­glantes. Il porte son atten­tion sur des détails qui révèlent un tra­vail docu­men­taire et de réflexion énorme. Il uti­lise des struc­tures exis­tantes, les modi­fiant légè­re­ment pour les inté­grer à son récit. Il mul­ti­plie aussi les clins d’œil à notre monde et des faits his­to­riques nom­breux se cachent dans le livre. La traque de ceux-ci est aussi un élé­ment addictif.

Avec Le Secret otto­man, le roman­cier réus­sit un beau chal­lenge et évite des écueils redou­tables. Il spé­cule de belle manière, à par­tir de ce que le monde otto­man était en 1683, pour en faire celui du XXIe siècle et il conçoit avec cohé­rence la façon plau­sible de gar­der un tel ter­ri­toire sous sa coupe pen­dant plus de trois siècles.

serge per­raud

Ray­mond Khoury, Le Secret otto­man (The Otto­man Secret), tra­duit de l’anglais par Flo­rence Hertz, Presses de la Cité, mars 2020, 600 p. – 22,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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