Dans cette série, Zidrou assemble avec maestria des événements politiques authentiques, des faits historiques, des actions fantastiques et des données sociales sur l’Angleterre de la seconde moitié du XIXe siècle. Il met en scène deux jeunes femmes qui se dressent, parce qu’elles ont subi des violences sociales, contre l’establishment rigide, glacial, qui régit la société sous le règne de Victoria.
Celle-ci n’est pas encore la matrone imposante immortalisée par tant de statues. Elle aborde la quarantaine et n’a enfanté que cinq des neuf rejetons qui peupleront les cours et palais européens. D’ailleurs le scénariste place une scène truculente où est conçu, sans doute, le sixième.
Deux femmes, victimes de violences familiales et policières, dans cet État machiste, ont décidé de détruire l’Empire britannique. La petite Pickles a été recueillie par un policier qui a eu pitié d’elle. Le commissionnaire Kurb veut qu’on la jette dehors. Mais, la voyant, il se ravise.
La scène suivante se déroule sur la péniche où Jay, Kita et Senseï se cachent. Le bateau est envahi par la police et Kurb savoure son triomphe. Sous les yeux des deux femmes immobilisées, il jette Senseï dans la Tamise. Il casse le cou de Pickles, celle-ci s’étant révoltée, le poignardant à l’épaule parce qu’il ne tenait pas sa promesse. Il s’apprête à abuser de Kita quand surgit du fleuve une énorme entité qui prend les deux femmes dans ses mains griffues et disparaît dans l’eau. Pendant que la péniche coule Korb donne l’ordre de poursuivre les fugitifs et de les abattre à vue.
Octavius, le père de Jay, se souvient du serment fait avec ses compagnons dans le Nouveau Monde et veut reprendre du service pour effacer l’indépendance des États-Unis.
Victoria, accompagnée de toute sa marmaille, vient visiter le chantier naval où se met en œuvre sa nouvelle arme, ces bateaux révolutionnaires qui vont permettre à l’Angleterre de reconquérir les colonies d’Outre-Atlantique.
Jay et Kita ont ramené le corps de Pickles à Husband, ce gamin des rues qui se considère comme son mari. Celui-ci leur montre leurs avis de recherche et les place sous la protection des enfants des rues qui forment le gang des Dead Ends.
Les deux héroïnes vont pouvoir continuer à se venger…
L’intrigue est enlevée, tonique, d’une remarquable efficacité. Il ne manque rien, mais surtout, il n’y a rien de trop, pas de longueurs, de redondance. Tout est pesé, structuré au millimètre, plutôt au mot près. On retrouve l’esprit revanchard d’une classe militaire qui n’a pas accepté de se faire évincer de territoires américains, l’hypocrisie qui règne en maîtresse, la misère sociale dont se gausse la bourgeoisie : “…ces orphelins dont Charles Dickens aime à peupler ses feuilletons larmoyants…”.
Cependant, dans cet univers brutal, sans pitié, Zidrou glisse un peu de poésie lorsqu’il place dans le narratif qui traverse l’album : “Car au final, nous ne sommes que cela… …les braises de ces grands amours qui nous ont consommées.” Il fait référence à Candaule et à la pratique sexuelle à laquelle est attachée le nom de ce roi semi-légendaire de Lydie.
Mais, aussi précis et attractif qu’il soit, le scénario de Zidrou perdrait de sa richesse, de son impact sans le dessin de Josep Homs. Celui-ci offre une mise en images éblouissante, avec des découpages audacieux, une puissance évocatrice des actions. Maître dans l’art de la plongée et de la contre-plongée, il régale le lecteur de scènes stupéfiantes. Tant pour les décors que pour sa nombreuse galerie de personnages, il travaille le détail, le point qui accroche le regard.
Sa mise en couleurs restitue les ambiances et les atmosphères, que ce soit au sein des habitations avec l’éclairage à la bougie ou dans les quartiers miséreux où la lumière peine à pénétrer.
Victoria clôt de superbe façon un premier cycle exemplaire. Zidrou a mené à terme les multiples ramifications de son intrigue, mais ouvre, et c’est heureux, la perspective d’une suite.
Si elle attendue avec impatience, il faut tempérer celle-ci pour laisser à Josep Homs le temps de peaufiner ses magnifiques planches.
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serge perraud
Zidrou (scénario) & Josep Homs (dessin et couleur), Shi – t.04 : Victoria, Dargaud, janvier 2020, 56 p. – 14,50 €.