C’est une activité peu commune qu’exerce l’héroïne. Cependant, depuis vingt ans tout s’est bien passé. Elle exécute les missions qui lui arrivent discrètement comme un autre travail, s’attachant à penser que ces morts méritent bien leur sort.
Elle avait mis une réserve quand son beau-père l’a formé, ne jamais s’occuper d’enfant.
Blanche Barjac s’est imposée dans l’univers des tueurs à gages, des malfaiteurs, des meurtriers comme nettoyeur. Elle fait disparaître toutes traces, même les cadavres. C’est Adrian, son beau-père, qui l’a formée et présentée à ses premiers clients. Son efficacité et son sérieux l’ont fait reconnaître comme une référence dans le métier. Elle fait comme lui a recommandé son mentor, elle garde, pour chaque mission, un indice, une pièce pouvant compromettre le donneur d’ordre.
C’est le Limier, un maître tueur à gages qui lui propose une nouvelle mission. Elle s’en acquitte sans problèmes. Elle ramène ce qu’elle devait récupérer sur les lieux, dont un sac de voyage et le corps à faire disparaître, dans la maison isolée d’Adrian.
En vidant un sac de voyage contenant des affaires à faire disparaître, elle trouve, au fond, un foulard taché de sang. Elle se fige car elle reconnaît celui que portait sa mère, il y a vingt ans, quand elle s’est tirée une balle dans la tête, avant d’être totalement gagnée par la folie. Adrian lui avait montré, disant que c’était le seul souvenir qu’il avait gardé de sa mère.
Comment ce foulard, rangé dans une boîte anonyme parmi toutes les pièces à conviction conservées, a-t-il pu être mis dans ce sac ? Adrian se défend de l’avoir touché. La suspicion s’installe dans l’esprit de Blanche. Mais, quand le Limier lui reproche d’avoir mis le feu à la maison, qu’il ne comprend pas pourquoi il reçoit trois mails de sa part, elle s’affole. Elle n’a pas mis le feu et ne lui a envoyé que deux mails.
Puis, Adrian reçoit une carte anonyme avec des cheveux collés. Elle reconnaît ceux du cadavre qui attend dans le grand congélateur. Adrian disparaît et le corps aussi… Blanche se retrouve aux abois sans se douter que sa descente aux enfers ne fait que commencer…
Blanche a subi, avec le suicide de sa mère quand elle avait dix-neuf ans, un profond traumatisme. Adrian craint qu’elle ne soit atteinte de la même affection que sa mère, ce qui ajoute à son stress quotidien.
Sandrine Destombes place Blanche dans une situation où tout se dégrade, où rien ne semble stable, solide, vrai, où tout peut être remis en cause. Son beau-père ne lui cache–t-il pas des événements, des faits ? Les quelques personnes qui lui sont redevables ou peuvent l’aider, pour une contrepartie, semblent mener un double, voire un triple jeu. Peu à peu, Blanche en vient à douter de tout alors que les actions qu’elle entreprend pour réagir engendrent de nouvelles mauvaises surprises.
L’auteure malmène tant et plus son héroïne, détaillant avec soin, l’évolution de son état d’esprit, les analyses que celle-ci peut faire de la situation et les contrecoups qu’elle subit face à cette marée de problèmes. Elle ne peut, elle ne sait pas répondre à la question lancinante qu’elle se pose : “Qui peut lui en vouloir à ce point ?“
L’intrigue s’appuie sur une succession d’incertitudes et sur des apports techniques fort bien documentés tant sur le piratage des données personnelles, des messageries et autres structures informelles que sur les pratiques des faussaires. Elle reprend la situation du chasseur chassé si bien décrite dans la mythologie grecque avec le sort d’Actéon.
Mais la romancière émaille son récit de propos cocasses, de réflexions pertinentes, d’humour noir. Pour se débarrasser d’un corps, Adrian propose Un petit Lafarge, c’est-à-dire l’immersion dans du béton, sur un chantier. Blanche s’emporte : “Je suis nettoyeur, (…) pas homme de main.” Son interlocuteur lui répond : “Tu as remarqué qu’aucun de ces mots ne s’accorde au féminin ? Nettoyer, homme de main, même agresseur !“
Un style alerte, des dialogues vifs portés par un vocabulaire riche et une écriture fluide donne un ton particulier à cette histoire.
Avec ce récit en tension, une tension qui se renforce au fil des pages jusqu’à une chute des plus étonnantes, Sandrine Destombes signe un nouveau roman brillant, addictif, particulièrement réussi.
serge perraud
Sandrine Destombes, Madame B, Hugo, coll. “Thiller”, mars 2020, 336 p. – 19,95 €.