Face aux cavaliers de l’apocalypse
La Laponie est la patrie des Sâmes, peuple de chasseurs dont la culture fut considérée longtemps comme primitive et la langue contestée car longtemps de tradition uniquement orale.
Face à “l’évangélisme” norvégien, les Sâmes entamèrent une longue lutte qui a fini par le reconnaissance de leur culture en 1989.
Arrière-petite-fille d’un des martyrs qui luttèrent pour la reconnaissance de leurs droits et qui furent traités comme rebelles tués, décapités ou emprisonnés à vie, Risten Sokki écrit ici son seul livre de poésie dans lequel elle ramène au jour les “dits” de ses ancêtres en les “retordant” tout en restant au plus près de leur sens original.
Surgit une poésie surprenante, à la fois intime et à caractère général, où se dit en filigrane la douleur et la ténacité d’un peuple : “Je jette / les promesses / dans une brèche dans la glace // Les souvenirs / je les immerge / Dans la lac à double fond”.
Tout est évoqué sans pathos. L’être Sâme ne se lamente pas. Sa volonté passe sous silence la peine ou la souffrance dans la contrainte versifiée que la poétesse a choisi. Une telle écriture se détache des préjugés ordinaires, des obéissances communes.
Existe là un décryptage où les prétendues torpeurs sont mises à mal.
La poésie devient une lutte intestine contre les pouvoirs qui briment la vie et asphyxient l’amour : “Je connais / le monde / en deux langues / Je ne savais pas / que l’amour n’en avait / qu’une”.
Et c’est une manière de river le clou à la langue imposée par les maîtres.
Risten Sokki multiplie des tercets où l’émotion est toujours contenue mais tenace et tenante. La poésie reprend son rôle de sagesse et de résistance qui n’a rien de discursive.
La gravité est là face aux cavaliers de l’apocalypse qui ont décimé l’identité premières des chasseurs de rennes.
Seule la poésie opère alors comme stèle.
Elle résonne aussi au fond des tombeaux ouverts pour en faire jaillir un peuple au moment où ses terres de glace deviennent plus que jamais des trébuchets trébuchants qui désintègrent un peu plus une existence que Siren Sokki fait vibrer.
jean-paul gavard-perret
Risten Sokki, Retordre Retordre les fibres du tissu ancestral, édition trilingue, traduction du norvégien par Per Sorensen, coéditions Atelier de l’Agneau et Toubab Kalo, 2020, 102 p. — 17,00 €.