Didier Ayres, Aspects du vide

Même si je dois com­mu­ni­quer quelques pro­pos sur le vide bien trop briè­ve­ment, il faut que je divise quand même en trois moments dis­tincts et corol­laires cet inci­pit.
J’espère ainsi ne pas clore mais ouvrir des che­mins vers l’appréciation de ce que le vide montre de soi et de la réa­lité de soi. 

En pre­mier lieu, l’épithète qui cor­res­pond séman­ti­que­ment au vide, est le rien. Le rien, l’absence de la pré­sence. Est-ce une leçon du Zen ou un rap­pro­che­ment avec le non-être taoïste qui domine cette notion ? Je ne tranche pas.
Cepen­dant, je crois que le rien est bel et bien une absence de matière. Ce rien-là n’est pas à mon sens le contenu néga­tif de la mort ou d’avant la nais­sance. Non, il est une pure néga­tion et ne déli­mite par consé­quent aucun espace inconnu, puisqu’il n’est vrai­ment rien.

Ce rien s’associe à une autre épi­thète, je veux par­ler de la vacance, autre syno­nyme intel­li­gible du vide. Là encore, si ce terme sup­pose une acti­vité, une plé­ni­tude, une ten­sion que la vacance libère, je crois aussi qu’elle repré­sente un outil d’élévation spi­ri­tuelle.
Je pré­cise. Res­ter vacant œuvre, construit un lien, un endroit où la vie de la pen­sée trouve son expan­sion. La vacance fait poche, dilate, souffle inté­rieu­re­ment un espace où peut se recou­per la réa­lité de l’entendement avec lui-même. Pour pen­ser, il faut un temps orga­nisé autour de rien, au milieu de la dis­po­ni­bi­lité de ce qui pré­cède et de ce qui se continue.

Afin d’illustrer rapi­de­ment cette idée, je veux décrire en quelques mots une expé­rience scien­ti­fique qui consiste à éclai­rer la posi­tion d’un atome pour voir un point de sa tra­jec­toire. Mais, pour voir ce point et le déta­cher du flux de la tra­jec­toire, il faut uti­li­ser la lumière, quand celle-ci pro­voque et influence l’itinéraire de l’atome qui change dès lors de cours.
Pour moi, là est le pou­voir de la vacance, dans cet éclat lumi­neux, cette pos­si­bi­lité de jouer un rôle dans le posi­tion­ne­ment de la pen­sée, de la vie phy­sique, intel­lec­tuelle et spi­ri­tuelle d’une pen­sée. Vacance donc qui pousse, qui repousse et allège la pesan­teur de la réa­lité conçue comme état sou­ve­rain et per­ma­nent, quand la vacance jus­te­ment, le souffle, la dila­ta­tion du dedans pro­duisent de l’écartement, du vide, du champ.

J’évo­que­rai un der­nier aspect du vide, en fai­sant allu­sion au très beau et très com­plexe concept de néant. Là non plus ni fin ni début. Mais un arc-boutant de l’univers.
Réflé­chir aux intri­ca­tions du néant et du tout, est un vrai abîme, un ver­tige où la pen­sée tourne et danse, s’abreuve et se saoûle. Car si la tota­lité est entière, elle doit inclure le néant. Mais le néant se refuse à l’inclusion par définition.

Il est donc un espace sans volume, sans pré­sence, un espace sans espace. De cette façon tout lui est dépen­dant.
Car si une chose existe comme chose déli­mi­tée, comme forme, elle ne le devient uni­que­ment que par l’absence de traits volu­mi­neux, de pré­sence du néant, de ce qui entoure.

Le néant, base de toute repré­sen­ta­tion, implique le miroi­te­ment tou­jours contraire où pour­rait se tenir l’âme par exemple. Est-ce une vacuité abso­lue et en ce cas consub­stan­tielle à la matière, car l’atome gît dans le vide ? Ce qui me paraît notable en cette occur­rence, c’est que le vide est un refuge impé­rieux, la demeure de l’absence, où l’âme, la prière ou toute acti­vité liée au monde de la spé­cu­la­tion, sont ren­dues pos­sibles.
Vide fon­da­men­tal qui rend tout sim­ple­ment la parole, le lan­gage sou­te­nable, auto­rise l’expansion, qui auto­rise le double infa­tué de toute expres­sion langagière.

Ces pro­pos com­battent eux aussi en un sens une forme de vide, de ce qui advient, du vide comme endroit du temps, mai­son du présent.

didier ayres

1 Comment

Filed under En d'autres temps / En marge

One Response to Didier Ayres, Aspects du vide

  1. jean-paul gavard-perret

    Super ! Excellent.

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