William Karel adapte les écrits d’Eric Laurent, journaliste d’investigation. Un documentaire froidement apocalyptique…
Bush ou le Buisson ardent…
Froidement, objectivement, sont montées dans ce documentaire des images chocs, presque surréalistes — si une image surréaliste se définit bien par le rapprochement de réalités éloignées, très lointaines : que dire, surtout pour nous qui connaissons la séparation de l’Église et de l’Etat depuis aujourd’hui un siècle, de cette fameuse, trop fameuse, et hallucinante réunion ministérielle qui est un bain de jouvence dans la fraîcheur mystique de la prière : Bush et ses ministres priant devant les caméras, longuement, avec ferveur.
Ce film donc montre, et laisse parler les images, choquantes, inquiétantes, et utilise intelligemment le montage, qui peut être un des plus puissants instruments critiques et analytiques qui soit, puisqu’il laisse le spectateur se forger son opinion, construire son jugement. Ainsi, ce film, en montrant, décrypte : les arcanes du pouvoir, où les faucons néo-conservateurs et possédants texans tirent les ficelles ; les acoquinements sordides de la première puissance mondiale lorsqu’elle oublie qu’elle est aussi la plus vieille démocratie en se compromettant avec l’Arabie Saoudite, avec Ben Laden aussi à une époque, où les Bush étaient ses invités… Et puis, il y a le regain malsain des vieilles doctrines affirmant la mission civilisatrice dont serait investi l’Occident, doctrines que l’Europe avait su utiliser pour asseoir sa politique colonisatrice, et que l’Amérique, vieille libérée du joug anglais, avait tant critiquées en son époque : regain d’un sentiment missionnaire que l’on constate dans toute sa fureur civilisatrice en Irak (il faudrait voir La Mission de Heiner Muller pour entendre une critique efficace des masques et ambitions de libération).
Au total, William Karel nous montre et démontre cette face inquiétante que nous connaissons des États-Unis : une nation puissante et donc dure et donc nationaliste, ainsi que puritaine — préjugés que tout cela ? peut-être… vision réductrice ? sans doute… mais ce visage-là en fait oublier beaucoup d’autres (et pas des plus joviaux : l’Amérique capitaliste et intéressée est trop peu évoquée ici), car ce visage est effroyable.
Froid et lucide, ce documentaire démasque jusqu’à un certain point l’Amérique politique : où est le peuple ici ? pourquoi seule la sphère de la haute politique est-elle évoquée ? le peuple est là où est sa place dans ce jeu politique de puissants, dans les caves sombres de l’histoire, et l’on ne suit qu’amèrement les interviews, les reportages sur les véritables dirigeants…
Du côté des bonus
Partie 1
“Autour du monde selon Bush“
Cette partie regroupe différents entretiens renseignant de manière intéressante soit sur la fabrique du commentaire — avec William Karel ou Eric Laurent qui évoquent sources, méthodes…etc. soit sur l’état politique contemporain des USA — entretien avec Robert C. Byrd, doyen du Sénat américain, évoquant le dangereux recul des libertés ; entretien avec Norman Mailern, intellectuel engagé qui décrypte avec une lucidité froide la politique Bush.
Partie 2
“Regards sur l’Amérique“
Différents entretiens avec un juriste et ministre, un philosophe théologien, un journaliste, un ministre : autant de points de vue éclairés, critiques et pertinents portés sur l’Amérique contemporaine.
samuel vigier
Le Monde selon Bush
réalisé par William Karel (en collaboration avec Eric Laurent), éditions Montparnasse, édition collector double DVD, 2004, 1h33 + 2h22 de bonus — 25,00 €.