Une incursion sanglante dans le monde pictural
Une œuvre inconnue de Pablo Picasso peut-elle refaire surface pour entraîner un petit groupe d’individus sur sa piste, prêts à tout pour sa possession ? L’idée n’est pas si saugrenue qu’elle peut paraître au premier abord connaissant la propension débridée de l’artiste à créer.
Avec cette base, le romancier construit une intrigue fort subtile, multipliant les tours de passe-passe, pour une conclusion en apothéose.
Pour faire vivre cette succession de péripéties, il conçoit une galerie de protagonistes absolument surprenants, d’une grande variété, psychologiquement bien campés avec des profils sociologiques originaux. Il donne leur origine, les différentes étapes de leur vie jusqu’au moment où ils interviennent dans le cours du récit.
Dans un prologue, deux hommes s’affrontent âprement à propos d’un tableau, cause d’une situation critique.
En 1907, au Bateau-Lavoir à Montmartre, Amélie Lang, qui a pris le pseudonyme de Fernande Olivier, découvre que son amant, son taureau espagnol, a réalisé une horreur, un tableau qui, soi-disant, la représente.
Lepski, le fils d’un boucher ayant amassé une fortune dans les abattoirs russes, adore faire le mal. Il sait que c’est sa nature, une nature sauvage, animale, bestiale. Mais il est fasciné par la peinture, les œuvres picturales le calment, l’enchantent, l’absorbent. Pour l’heure, il drague deux prostituées pour une nouvelle œuvre.
Le journal, La Vérité moscovite, relate le vol stupéfiant du tableau d’Ivan Kramskoï, L’Inconnue, au musée Tretiakov de Moscou. Près du musée, dans une rue voisine, Amish Kean a ouvert une galerie d’art en association avec Eugène-René Guine. Quelle n’est pas sa surprise quand on lui livre une caisse et qu’il y découvre L’Inconnue. Il ne sait pas encore que le tableau a été volé.
Se succèdent alors dans les lieux, divers personnages qui font monter sa tension, une acheteuse déjantée, un commissaire de police menaçant, un homme de main d’un mafieux russe. Et les mâchoires d’un piège semblent se refermer sur Amish…
Pablo Picasso apparaît dans quelques courts chapitres, alors qu’il vit avec Fernande Olivier, sa muse, au Bateau-Lavoir, puis dans l’Oise. Le romancier donne des détails sur cette époque où le peintre bascule de la période dite Rose, vers le cubisme. Il le montre avec ses amis, parmi lesquels se compte Guillaume Apollinaire, dans des plaisirs priapiques où le poète déclame des extraits qui se retrouve dans son fameux roman mettant en scène un Hospodar héréditaire.
Cette intrigue et cette galerie de personnages sont l’occasion pour Erik Ornakin de livrer une foultitude d’informations tant sur l’univers pictural, les courants, les principaux peintres que leurs œuvres marquantes. Il intègre également de nombreuses références tant cinématographiques que littéraires.
Mais, avec un style alerte, une profusion de jeux de mots, d’images humoristiques, de portraits cocasses, de réflexions comiques et facétieuses, une faconde qui ne se démet pas, il offre une lecture-plaisir et génère un attrait qui scotche au roman. Des dessins de Lou Mogis agrémentent joliment les textes.
Richement documenté, érudit, passionnant de bout en bout Picasso et l’homme à la tête dans le cube se découvre avec un plaisir constamment renouvelé.
serge perraud
Erik Ornakin, Picasso et l’homme à la tête dans le cube, Les éditions du Léopard Masqué, septembre 2019, 312 p. – 22,00 €.