L’implacable mécanique de la Shoah en Union soviétique
C’est un livre proprement effrayant que celui de Marie Moutier-Bitan à propos de l’extermination des Juifs en Union soviétique.
Fruit de minutieuses recherches, dans les archives bien sûr, mais recueillant aussi des témoignages sur le terrain même du grand massacre, recherchant les lieux des tueries, ce travail remarquable, écrit avec tout le recul scientifique de l’historien, décrit avec une parfaite clarté le travail d’extermination mené par les nazis dès le premier jour de l’invasion de l’URSS.
On croit connaître la fameuse Shoah par balles, différente du massacre dans les camps d’extermination en Pologne ou de concentration en Allemagne.
Pourtant, Marie Moutier-Bitan apporte des pièces capitales pour la compréhension des événements. On découvre donc plusieurs éléments.
Tout d’abord, la complicité des populations locales qui, dès l’arrivée des envahisseurs, se jetèrent sur les communautés juives, dans une pulsion de pogrom hélas traditionnelle dans ces régions ; et notamment des populations d’ascendance allemande qui, grâce à leur connaissance du terrain, devinrent d’utiles complices. Ensuite, la parfaite préparation et surtout l’implacable exécution de ce crime de masse qui n’eut rien d’artisanal.
Partout, le même schéma se dessinait : action des Einsatzgruppen très mobiles, constitutions de listes, arrestations, exécutions implacables et rapides dans des lieux discrets, choisis avec soin. Enfin, la cruauté froide, la disparition de toute humanité, le sadisme même des tueurs dont certains noient dans l’alcool leur dernière part d’humanité.
Il faut bien le dire, la lecture des massacres oblige bien souvent de fermer le livre pour mieux la reprendre tant Marie Moutier-Bitan décrit avec minutie la brutalité des actes commis contre des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants, comme ces bébés lancés en l’air et tirés au fusil… On ne peut qu’être frappé par la rapidité avec laquelle, dès l’entrée de la Wehrmacht, les tueries ont commencé.
Effet de la guerre d’Hitler et de la propagande nazie, horreur éprouvée devant le bolchévisme auquel le judaïsme est associé, déshumanisation des victimes souvent déjà détruites psychologiquement et physiquement – notamment dans les ghettos – avant d’être exécutées.
Dernier élément frappant : la question du secret. Si l’extermination dans les camps fut placée sous une chape de plomb qu’il ne faut pas sous-estimer aujourd’hui, on n’a pas l’équivalent dans les champs d’Union soviétique où rafles, tueries et fosses communes se font au vu et au su de tous.
On découvre en fait au fil des pages une véritable administration de la mort qui n’atteint pas l’aspect bureaucratique de la Shoah des camps mais qui œuvra parallèlement à l’avancée du front et qui cherchait à ratisser jusqu’au dernier Juif, alors même que la défaite engloutissait la Wehrmacht dans les ruines de Stalingrad.
Les témoignages glaçants sur les massacres, le détachement des bourreaux devant leurs propres crimes, l’imagination démoniaque mise au service de l’élimination de près de 2.5 millions d’individus font de ce livre une pièce capitale de l’histoire de la Shoah.
Il donne un visage et un nom aux tueurs et aux victimes de ce crime hors du commun.
frederic le moal
Marie Moutier-Bitan, Les champs de la Shoah. L’extermination des Juifs en Union soviétique occupée, 1914–1944, Passés/Composés, janvier 2020, 478 p. — 24,00 €.