Les alphabets nocturnes de Lydie Planas: entretien avec l’auteure (Je ana­to­mique suivi de Dites)

Ecor­chée vive et pudique, s’agrippant aux mots pour “tenir”, lourde d’un passé sur lequel un voile se tend, Lydie Pla­nas écrit selon des rituels sans doute néces­saire à la per­fec­tion de ce qu’elle délivre (à la plume et sur des cahiers). Pas éton­nant que chez cette noire soeur, parmi les siennes et ses frères en écri­ture, trônent Unica Zürn, Beckett, Celan,  Michaux, Artaud. Comme chez ces créa­teurs il arrive que l’inconnu en elle réponde à sa place. Elle rêve alors de gar­der le silence comme on garde la chambre.
Mais elle reprend, répond de l’énigme du vivant et ce, parce que rien ne l’oblige pour­tant —  pas même un néces­saire aban­don. Mais c’est là que la “vraie” écri­ture com­mence. Dans la sem­pi­ter­nelle pénombre et pour ten­ter d’aller par­tout, d’aller nulle part, dans l’à-peine vu ou connu et en se posant à peine le ques­tion d’un “Quelqu’un pour entendre”, l’auteure habite un corps qui pour­rait se réduire à l’état de fan­tôme dans la soli­tude physique.

Mais l’oeuvre — écrite en acte cassé ou blessé mais tou­jours en sur­rec­tion et peut-être avec le majeur sur la pom­mette gauche — fait que le “je” advient au jour : là où Lydie Pla­nas “s’en pluie d’elles”, à savoir de celles qu’elle ras­semble dans le jar­din du coeur et qui “se prient les pieds à la tête” dans un rite sauvage.

A suivre :

Lydie Pla­nas, Je ana­to­mique suivi de Dites, Richard Meier, Edi­tions Voix, 2020

Entre­tien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La res­pi­ra­tion de mon chat, son attente, ses pre­miers miau­le­ments, il est la vie que je ne pos­sède plus, il est une sorte d’injonction à ma verticalité.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Des débris à l’ombre du pré­sent, mais avais-je des rêves ? Ai-je eu une enfance ?

A quoi avez-vous renoncé ?
A la vie, c’est un peu violent, trop de trous et je suis piètre couturière.

D’où venez-vous ?
D’un abys­sal silence.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
En dot ! Se taire.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Le regard de mon chat, les mots qui tremblent la main.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres poètes ?
Je ne suis pas poète, être est déjà un loin­tai­ne­ment, un loin qui se lie, je tente juste de m’enrouler aux lettres, aux draps de mes noc­turnes alpha­bets, je grimpe d’insolites Babel et m’écroule à l’aube.
Je suis trop indis­ci­pli­née, des rituels sans rigueur et puis je rature très peu, ne me relis jamais, j’écris tou­jours à la plume, j’ai une pas­sion déme­su­rée pour les cahiers, le papier, l’encre , une deuxième peau sur laquelle je trace ce que mon corps a avalé, mas­ti­qué, mordu, cra­ché, vomi.

Com­ment développez-vous  tem­po­rel­le­ment votre oeuvre ?
Je suis hors du temps , sans œuvre, une esquisse inache­vée, pas un jour sans écri­ture, un défi, je cherche, me confronte, me heurte, la page c’est l’arène, la « lidia », je suis un peu tau­reau peut-être ?
C’est la terre en moi.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Je ne sais plus, j’ai un pro­blème avec les images, je dois en avoir une quelque part en moi, je n’ai pas assez mar­ché ! Il n’y avait pas d’images autour de moi, j’habitais une abbaye romane, j’ai des sou­ve­nirs de scènes, de lieux, de cet étrange quo­ti­dien où je n’étais que l’unique petite fille dans un monde mas­cu­lin, les pre­mières pho­tos de moi en cet uni­vers… Sans commentaires

Et votre pre­mière lec­ture ?
Des petits livres pour enfants ache­tés à la sor­tie de l’école au kiosque à jour­naux près du manège, le les dévo­rais, ensuite je me sou­viens de « Oui-Oui », ter­rible de se nom­mer ainsi d’où mon refus tota­le­ment sub­jec­tif à dire non, et puis «  Mar­tine » que je n’aimais guère, cela ne sus­ci­tait rien en moi, je la trou­vais très niaise, j’étais déjà dans un monde « à part ».
Ensuite il fal­lait ren­trer au monas­tère, nous étions un peu isolés.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute peu de musique, la radio en boucle « France-Culture » pour ne pas la nom­mer, c’est un lieu res­source pour mon écri­ture, pour mes lec­tures, mes recherches, cepen­dant lorsque je décide de « débri­der » mes neu­rones Pedro Soler et Gas­pard Claus, Ines Bacan, le Sta­bat Mater de Vivaldi, les chants ladi­nos, les trou­ba­dours par Cle­menci, Bar­tok et puis, et par­fois le silence, juste le silence. Mais aussi Colette Magny.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Les Chants de Mal­do­ror, Bar­te­bly, L’Homme-Jasmin d’Unica Zürn, le théâtre d’Achternbusch, Beckett, Celan, Jabès, Michaux, Artaud et Lève-bas-ventre de Ger­trude Stein.
J’ai l’impression de faire la liste des « favo­ris » pour une course sans départ.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Les grands romantiques !!!

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
J’évite de me regar­der, j’ai hor­reur des miroirs, mais ce n’est pas moi cela est cer­tain, je ne sup­porte pas mon image, si tou­te­fois c’est bien elle que me ren­voie le miroir.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mon frère.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Je n’en ai pas, il y a des livres « mythiques », en tant que réfé­rence, je suis un être soli­taire, entouré d’écrits et d’ouvrages rêvés, c’est au tra­vers des manus­crits que je voyage, les livres sont mes lieux et mes villes, mes pays, mes mers, mes nau­frages, mes océans, mes tra­ver­sées, je ne sais com­ment dire, je ren­contre tout en eux.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
C’est impos­sible, je suis trop sau­vage, je ne suis proche de per­sonne, j’apprécie de nom­breux artistes et écri­vains, mais je suis très loin d’eux, je l’ai déjà évo­qué, je n’ai pas assez marché.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
L’offre d’un mécène !!! Des livres, les rêves d’enfant que je n’ai eus.

Que défendez-vous ?
Le mot juste.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je suis assez d’accord, j’ai cité cette phrase dans Osti­nato, cha­cun cherche à se ras­su­rer en ce sen­ti­ment à offrir, un asser­vis­se­ment, c’est un mot « rapace », trop vorace, qui vide l’être.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
La réponse est non, je suis une trau­ma­ti­sée du « oui » mais l’important n’est jamais la réponse mais la qua­lité de la question.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Aimez-vous jouer ? Je ne sais si mes réponses ont pu satis­faire vos ques­tions, mais peut-être ne s’agissait-il que d’une seule question ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 mars 2020.

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

1 Comment

Filed under Entretiens, Poésie

One Response to Les alphabets nocturnes de Lydie Planas: entretien avec l’auteure (Je ana­to­mique suivi de Dites)

  1. Anne Marie Carreira

    Bel entre­tien. Dou­lou­reux aussi.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>