Un plaidoyer au vitriol pour la raison
Dans un prologue, un tireur raconte les actes ordinaires qu’il effectue avant d’entrer, lourdement armé, dans son lycée. Il fait part de ses réflexions, de ce qui le pousse à agir. Il s’apprête à tuer dix-neuf personnes et en blesser quarante-cinq et n’a pas l’intention de survivre à la fusillade.
Anna Crawford a été récemment suspendue de son poste de professeur d’anglais pour insubordination. Parce qu’elle a posté en ligne des messages revanchards, elle est suspectée. Ce sont d’abord les médias qui la débusquent, qui la traquent. Puis le FBI l’arrête pour interrogation. Elle est relâchée après quelques jours. Les policiers ont saccagé son domicile et les médias ont étalé toute sa vie aux yeux du monde.
D’anciens camarades, des relations ont été interviewés, chacun apportant son commentaire. Peu à peu elle découvre que sa biographie est devenue une distraction jetable. Comment se reconstruire après une telle épreuve car sa vie ne sera plus jamais la même ?
Pendant un an, de la date de la tuerie jusqu’aux cérémonies organisées pour la date anniversaire, le lecteur suit la vie d’Anna. Le romancier débute son récit avec quelques pages terribles quand l’héroïne est confrontée aux médias et au FBI. Elle est considérée comme suspecte tant par la police que par les journalistes qui veulent tout savoir. C’est alarmant de voir la façon dont la vie est fouillée, étalée aux yeux du public.
Mais, ce qui est encore plus effrayant est la capacité des personnes qui, à un moment, ont croisé la vie d’Anna, l’ont côtoyée, à donner un avis qui va dans le sens du sensationnel dont se repaissent les pseudos journalistes. On pense alors à ceux qui, dans la réalité, vivent des situations similaires étant plus ou moins impliqués dans ces faits divers qui font les délices des journaux télévisés, des chaînes d’info en continu.
C’est la découverte de la vie d’Anna depuis son enfance, partagée entre un père pluriel, une mère atone et Calvin, un demi-frère, fruit de l’adultère du père. Celui-ci a été déposé quand il avait cinq ans dans le foyer du géniteur. C’est son parcours scolaire, universitaire, ses choix et les raisons pas toujours cohérentes de ceux-ci, son existence avec Robbie qu’elle fréquente irrégulièrement.
Mais c’est la vie avec son entourage, dans cette petite ville, qui est magnifiquement décrite. C’est le quotidien d’une Amérique où se côtoient le puritanisme le plus dur, la délinquance, la perversion, les débauches dissimulées. C’est aussi le désespoir, la drogue, l’alcool, l’absence de futur. Les tenants des armes tiennent salons où ils présentent tout ce qu’il faut pour se défendre avec des arguments convaincants. C’est l’emballement, l’escalade, la surenchère de barrières de sécurité, avec de plus en plus d’arrêtés, de lois.
Mais le romancier présente aussi les victimes, leurs parcours jusqu’à leur décès, ceux qui ont survécu mais qui restent blessés plus ou moins gravement dans leurs chairs et dans leur psychisme. C’est aussi la famille du meurtrier qui fait l’objet du harcèlement des médias.
Avec un sens certain du récit, l’auteur raconte un monde de plus en plus fou qui sombre dans la bêtise, la paranoïa, le machisme et le mensonge sous toutes ses formes. Dans ce roman, son premier publié en France, Tom McAllister soulève le couvercle d’une marmite où mitonne la communauté d’une petite ville qui avait reçu le titre de La ville la plus aimable d’Amérique.
Ce qu’il en décrit est saisissant.
serge perraud
Tom McAllister, Ce qui nous tue (How to be Safe), traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Le Bot, Cherche midi, coll. “Littérature”, février 2020, 264 p. – 21,00 €.