Tom McAllister, Ce qui nous tue

Un plai­doyer au vitriol pour la raison

Dans un pro­logue, un tireur raconte les actes ordi­naires qu’il effec­tue avant d’entrer, lour­de­ment armé, dans son lycée. Il fait part de ses réflexions, de ce qui le pousse à agir. Il s’apprête à tuer dix-neuf per­sonnes et en bles­ser quarante-cinq et n’a pas l’intention de sur­vivre à la fusillade.

Anna Craw­ford a été récem­ment sus­pen­due de son poste de pro­fes­seur d’anglais pour insu­bor­di­na­tion. Parce qu’elle a posté en ligne des mes­sages revan­chards, elle est sus­pec­tée. Ce sont d’abord les médias qui la débusquent, qui la traquent. Puis le FBI l’arrête pour inter­ro­ga­tion. Elle est relâ­chée après quelques jours. Les poli­ciers ont sac­cagé son domi­cile et les médias ont étalé toute sa vie aux yeux du monde.
D’anciens cama­rades, des rela­tions ont été inter­viewés, cha­cun appor­tant son com­men­taire. Peu à peu elle découvre que sa bio­gra­phie est deve­nue une dis­trac­tion jetable. Com­ment se recons­truire après une telle épreuve car sa vie ne sera plus jamais la même ?

Pendant un an, de la date de la tue­rie jusqu’aux céré­mo­nies orga­ni­sées pour la date anni­ver­saire, le lec­teur suit la vie d’Anna. Le roman­cier débute son récit avec quelques pages ter­ribles quand l’héroïne est confron­tée aux médias et au FBI. Elle est consi­dé­rée comme sus­pecte tant par la police que par les jour­na­listes qui veulent tout savoir. C’est alar­mant de voir la façon dont la vie est fouillée, éta­lée aux yeux du public.
Mais, ce qui est encore plus effrayant est la capa­cité des per­sonnes qui, à un moment, ont croisé la vie d’Anna, l’ont côtoyée, à don­ner un avis qui va dans le sens du sen­sa­tion­nel dont se repaissent les pseu­dos jour­na­listes. On pense alors à ceux qui, dans la réa­lité, vivent des situa­tions simi­laires étant plus ou moins impli­qués dans ces faits divers qui font les délices des jour­naux télé­vi­sés, des chaînes d’info en continu.

C’est la décou­verte de la vie d’Anna depuis son enfance, par­ta­gée entre un père plu­riel, une mère atone et Cal­vin, un demi-frère, fruit de l’adultère du père. Celui-ci a été déposé quand il avait cinq ans dans le foyer du géni­teur. C’est son par­cours sco­laire, uni­ver­si­taire, ses choix et les rai­sons pas tou­jours cohé­rentes de ceux-ci, son exis­tence avec Rob­bie qu’elle fré­quente irré­gu­liè­re­ment.
Mais c’est la vie avec son entou­rage, dans cette petite ville, qui est magni­fi­que­ment décrite. C’est le quo­ti­dien d’une Amé­rique où se côtoient le puri­ta­nisme le plus dur, la délin­quance, la per­ver­sion, les débauches dis­si­mu­lées. C’est aussi le déses­poir, la drogue, l’alcool, l’absence de futur. Les tenants des armes tiennent salons où ils pré­sentent tout ce qu’il faut pour se défendre avec des argu­ments convain­cants. C’est l’emballement, l’escalade, la sur­en­chère de bar­rières de sécu­rité, avec de plus en plus d’arrêtés, de lois.

Mais le roman­cier pré­sente aussi les vic­times, leurs par­cours jusqu’à leur décès, ceux qui ont sur­vécu mais qui res­tent bles­sés plus ou moins gra­ve­ment dans leurs chairs et dans leur psy­chisme. C’est aussi la famille du meur­trier qui fait l’objet du har­cè­le­ment des médias.

Avec un sens cer­tain du récit, l’auteur raconte un monde de plus en plus fou qui sombre dans la bêtise, la para­noïa, le machisme et le men­songe sous toutes ses formes. Dans ce roman, son pre­mier publié en France, Tom McAl­lis­ter sou­lève le cou­vercle d’une mar­mite où mitonne la com­mu­nauté d’une petite ville qui avait reçu le titre de La ville la plus aimable d’Amérique.
Ce qu’il en décrit est saisissant.

serge per­raud

Tom McAl­lis­ter, Ce qui nous tue (How to be Safe), tra­duit de l’anglais (États-Unis) par Anne Le Bot, Cherche midi, coll. “Lit­té­ra­ture”, février 2020, 264 p. – 21,00 €.

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