Une édition collector prestigieuse pour un long métrage façon jeu vidéo
L’histoire
Depuis des siècles et à l’insu des mortels, une guerre sans merci oppose les lycans (entendez les loups garous) aux vampires. Ces créatures immortelles ignorent pour la plupart quels sont les fondements de cette lutte séculaire — seule une tradition orale en perpétue la nécessité tandis que des lois interdisent l’exploration du passé et la lecture des livres qui en portent la mémoire.
Selene est vampire ; c’est une guerrière dont la tâche exclusive consiste à repérer les lycans et à les exterminer. Ceux-ci ont d’ailleurs pour ainsi dire disparu — c’est du moins ce qu’affirme Craven, le chef des vampires. Mais une traque nocturne fournit à Selene matière à douter : non seulement elle soupçonne les lycans d’être beaucoup plus nombreux que ne l’assure Craven, mais elle est persuadée que Lucian, leur chef, est en vie — lui que tous croyaient mort, tué par Craven en personne. Pire : elle rapporte de son expédition la preuve que les lycans ont mis au point une arme nouvelle, et la certitude qu’ils s’intéressent à un humain, Michael Corvin, pour des raisons qui ne sont pas uniquement alimentaires…
De fil en aiguille, Selene en vient à subodorer un sombre complot ourdi par Craven ; indécise quant à l’attitude à adopter, perturbée, aussi, par les étranges sentiments qui commencent à la lier à Michael, elle décide de réveiller Viktor, l’un des trois aînés qui règnent à tour de rôle sur l’ensemble de la communauté vampirique — qui est aussi son “père” adoptif, celui qui lui a offert l’immortalité. Une décision lourde de conséquences…
Alliances contre nature, transgressions de lois anciennes, trahisons, complots, mensonges, massacres perpétrés sans aucune arrière-pensée… le film est noir, vraiment noir, et ses auteurs ont su respecter de bout en bout cette ambiance glauque en lui épargnant cet humour familial souvent puéril dont s’encombrent certaines productions prétendument “fantastiques” histoire de coller à la sacro-sainte étiquette “tous publics” — tel, par exemple, le navrant remake de La Momie que Karl Freund tournait en 1932… une noirceur savamment entretenue, donc, par un scénario qui s’est efforcé à la richesse, à la complexité — et c’est plutôt réussi. On est loin des schémas simplistes, des personnages monolithiques et du n’importe quoi que s’autorisent parfois certains auteurs au nom du fantastique. Ici l’intrigue n’a pas une faille, sa progression est calculée pour une efficacité maximale, et il n’y a pas la moindre incohérence à déplorer. De plus, les personnages principaux se dévoilent peu à peu — étant eux-mêmes comme des énigmes à percer — et le spectateur découvre des êtres torturés, en proie à des émotions contradictoires, que les acteurs incarnent avec un indéniable talent.
De plus, le scénario a choisi de revêtir le thème du vampirisme et de la lycanthropie d’atours scientifiques : ce sont des maladies sanguines induites par un virus qui provoque des mutations génétiques, les vampires utilisent du sang cloné, leur château regorge d’ordinateurs et d’installations électroniques en tout genre. Mais l’on n’a pas renoncé pour autant à quelques résidus folkloriques : pleine lune et balles en argent sont encore d’actualité. Enfin, il ne manquera pas de voix pour souligner que le fond du film doit s’interpréter comme une apologie du métissage : celui qui défendait la “pureté raciale” des vampires fût-ce au prix d’un infanticide est vaincu tandis que l’être dont les veines charrient le sang des deux espèce se relève de l’ultime combat plus fort qu’aucune créature le fût jamais…
Ce scénario très noir, répétons-le, est appuyé par un choix esthétique du meilleur effet : l’image est baignée en permanence d’un chromatisme bleuté et blafard, qui sied autant aux souterrains sordides impartis aux lycans qu’au château baroco-high tech occupé par les vampires. Cette atmosphère n’est rompue qu’à l’occasion des retours en arrière qui, eux, sont traités dans les tons brunâtres — mais toujours selon ce principe de la dominante chromatique qui transporte l’image au-delà du réalisme. Un bon point pour la réalisation — hélas le seul… car c’est bien là où le bât blesse — et comment ! Tout est passé à l’esthétique “jeu vidéo” : les décors, les mouvements de caméra — à croire que c’est un allumé du joystick qui a effectué prises de vue et montage — et la bande son, essentiellement constituée de bruitages suranabolisés tout en chuintements métalliques, bruits de caoutchouc déchiré ou coups de tonnerre dont l’écho se répercute sans fin. À noter d’ailleurs qu’il y a une telle différence d’intensité entre ces bruits d’ambiance et les dialogues que l’on doit sans cesse jouer de la télécommande et baisser le son quand les dialogues cessent sous peine d’être assourdi. Et puis il y a les incontournables “scènes d’action” et là, c’est l’exaspération assurée !
Le charme que pouvaient susciter les premières images — ambiance nocturne pluvieuse et sinistre, la voix de Selene posant les bases de l’histoire - est vite rompu… à peine le lycan a-t-il crié vampiiiiiires !! dans le couloir du métro que débute l’un de ces gunfights stupides qui hélas polluent le film (il n’est vraiment pas nécessaire de donner dans le grotesque pour mettre en scène des combats ultra-violents dans un film…) : les flingues profilés façon SF surgissent comme par miracle entre les doigts et dansent à leur bout aussi légèrement que des bouquets de fleurs, crachant leurs projectiles dans tous les sens — de vraies “sulfateuses”. Et que dire de l’attitude des tireurs : une arme dans chaque main, bras tendus droit devant et avançant d’un pas décidé tandis qu’ils vident leur chargeur… le tout enrobé de ralentis millimétrés, avec plans de profil montrant les pans de manteau de cuir volant dans le dos — oh… m’est avis qu’on a un peu trop aimé Matrix, là… mais le plus risible, dans le registre gunfight, c’est tout de même cette scène où Selene, poursuivie par une meute de lycans dans le couloir de l’immeuble où vit Michael, juge plus expéditif de découper le sol autour d’elle à coups de balles argentées que d’emprunter les escaliers ou l’ascenseur…
Ce genre de facéties est semble-t-il de rigueur aujourd’hui pour tout film prétendant de près ou de loin au label “action” — au même titre que ces combats où l’on s’affronte à coups de vol planés et de gestes martiaux suspendus indéfiniment dans les airs à dix mètres du sol. L’ère des bons vieux coups de poing en pleine poire est bien révolue !
Parmi les pires moments (les meilleurs pour certains…) citons la scène où l’on voit Lucian, blessé par plusieurs balles, se contracter tel un Bruce Banner stressé mais qui, au lieu de verdir et de tripler de volume, se contente d’excréter l’un après l’autre les projectiles qui l’ont atteint, en les faisant jaillir de ses blessures tels de minuscules excréments métalliques d’anus épidermiques… ou encore ces plans montrant Viktor en phase de régénération, la peau encore putride et le dos hérissé de tuyaux en plastique lui infusant du sang neuf. Il y a du Brazil, ou du Twelve monkeys là-dessous…
Autant d’effets caricaturaux qui détruisent irrémédiablement - au moins aux yeux de quelques-uns — l’attrait qu’avait le film de prime abord. Un film que bouderont les amoureux de fantastique et de tragédie demeurés résolument allergiques aux manettes de jeu, et à qui la réalisation insupportera en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
En bonne superproduction hollywoodienne, Underworld ne manque pas de préparer le terrain à son inévitable séquelle. Voici annoncé le règne de Marcus ! les amateurs se réjouiront, les autres… eh bien après tout, personne ne les force à débourser le prix d’une place de ciné ou d’un DVD…
Côté bonus
Une édition collector qui ne manque pas de poids : le premier DVD, censé ne contenir que le film et les traditionnels découpage en chapitre et choix de langues et de sous-titres, propose en plus de visionner le film accompagné des commentaires — sous titrés ou non — du réalisateur et des deux co-scénaristes. Option fascinante que de voir défiler les images avec en voix off les créateurs qui expliquent à la fois leurs intentions, la manière dont ils ont procédé pour le tournage, racontant au passage quelques anecdotes particulièrement piquantes… et c’est en les écoutant que l’on prend conscience d’un second degré dans le film ; il devient évident que certains de ses aspects les plus exaspérants relèvent simplement d’une volonté de s’éclater, de se faire plaisir en réalisant les séquences les plus improbables et en accomplissant des performances techniques autant qu’humaines. Surtout ne négligez pas cette “conversation à trois”, qui est sans doute le supplément le plus instructif.
Après cela, on se demande ce que peut bien offrir de plus le second DVD. De fait, le menu laisse d’emblée dubitatif : les quatre bonus qu’il présente sont tous centrés sur les aspects techniques du film. Pas de filmographie ni de biographie. Rien non plus qui ait trait à l’histoire des vampires et des loups garous, ou à la manière dont littérature et cinéma les ont abordés. Et le making of déçoit : il ne montre presque pas de scènes de tournage, se contente de mettre bout à bout des séquences extraites du film, et ne donne à entendre que des paroles parcellaires de quelques membres de l’équipe, diffusés à la va vite. Il dure environ treize minutes — dont on fera l’économie avec d’autant moins de remord que les trois autres bonus offrent précisément ce que l’on était en droit d’attendre dudit making of. La séquence la plus intéressante est sans conteste celle consacrée aux créatures. L’on y voit le travail phénoménal qu’ont exigé maquillage, conception des costumes, création de prothèses — travail impliqué par le refus du réalisateur de recourir aux facilités de l’image de synthèse.
Une démarche à saluer — les loups garous ont en effet une densité, une présence que n’ aura jamais un Spiderman synthétique, aussi acrobatique fût-il — et qui n’a rien de rétrograde : imagineriez-vous, par exemple, que les mouvements faciaux des masques sont gérés par de subtils dispositifs électroniques ? On est bien loin de la vulgaire moumoute dont on affublait jadis l’acteur censé incarner un Yéti…
Ah… ultime petit détail — la “final touch” sans doute de cette édition qui mérite bien son label “collector” : sur l’étui cartonné qui enveloppe la snap case, l’immense disque lunaire sur lequel se détache la silhouette de Selene luit dans l’obscurité.…
Underworld
Réalisateur :
Len Wiseman
Avec :
Kate Beckinsale, Scott Speedman, Shane Brolly, Michael Sheen, Bill Nighy, Robbie Gee
Durée :
115 mn
DVD 1
- Le film
– Bandes annonces
– Chapitrage
– Versions — dolby digital, DTS,
– commentaires
DVD 2
- Le making of,
– Les créatures,
– Les cascades,
– Les sons et lumières.
isabelle roche
Len Wiseman, Underworld (édition “collector” 2 DVD)
M6 Vidéo, 14 avril 2004, snap case — 22,02 € / Format image : Cinémascope — 2.35:1 / Zone 2 — Langues et formats sonores : Français (DTS), Français (Dolby Digital 5.1), Anglais (DTS), Anglais (Dolby Digital 5.1).Sous-titres : Français