L’éminent chef d’orchestre Guennadi Rojdestvensky (1931–2018) avait une relation privilégiée avec Bruno Monsaingeon qui a tiré ce livre des entretiens filmés qu’il avait réalisés avec lui. Les connaisseurs y trouveront un autoportrait doublé d’un vrai cours sur l’histoire de la musique russe du XXe siècle.
Outre l’aspect spécialisé (savant) de l’ouvrage, ce qui frappe le plus le lecteur, c’est l’authentique talent de conteur qu’avait le musicien, et qui transforme chaque chapitre en régal, indépendamment de sa valeur informative.
Rojdestvensky est particulièrement doué pour faire ressortir le caractère de chaque artiste qu’il évoque, à travers des anecdotes hilarantes, et pour brosser des portraits insolites, tel celui du génial Willi Ferrero, chef d’orchestre dès l’âge de 7 ans, membre du parti fasciste sous Mussolini, et toujours le bienvenu en URSS, même avant de se muer en communiste.
A propos du Régime, Rojedstvensky ne se contente pas de raconter l’histoire drôle qui donne son titre au livre, loin de là : il nous fournit, mine de rien, de quoi nous faire une idée très concrète des mille et une manières dont Staline et ses successeurs exploitèrent, persécutèrent et manipulèrent les grands musiciens russes (compositeurs et interprètes).
Parmi les faits les plus saisissants : la campagne antisémite vouée à faire chasser des grands orchestres tous les instrumentistes juifs (pp. 129–134) ; les pressions subies par les artistes désireux de se produire à l’étranger ; les liens entre le KGB et les imprésarios occidentaux qui s’occupaient des interprètes originaires de l’Est ; l’art et la manière de briser la carrière de toute personne ayant déplu au pouvoir en place…
Le cas de la pianiste Viktoria Postnikova, seconde épouse de Rojdestvensky, est particulièrement éclairant : après avoir gagné des concours internationaux des plus prestigieux, elle s’est retrouvée d’abord interdite de concerts pendant de longues années, puis réduite à accompagner son mari. Rojdestvensky raconte même les pires aspects de la réalité qu’il a connue avec un sens de l’humour proprement invincible, qui rend son témoignage à la fois impressionnant par le courage et l’endurance qu’il reflète, et savoureux au plus haut degré.
En somme, les lecteurs qui s’intéressent à l’Histoire du XXe siècle trouveront dans cet ouvrage de quoi s’instruire sans cesser de rire.
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agathe de lastyns
Bruno Monsaingeon, Les Bémols de Staline. Conversations avec Gennadi Rojdestvensky, Fayard, février 2020, 336 p. – 24,00 €.