Kishwar Desai, Les origines de l’amour

Le fœtus devient l’objet d’un mar­ché juteux…

L’héroïne de cette intrigue est loin de l’image tra­di­tion­nelle de la femme indienne. Elle vit libre­ment, fume, boit du vin et des alcools, ne parle pas une langue de bois et fait face avec déter­mi­na­tion à des situa­tions dan­ge­reuses.
Sa créa­trice la défi­nit ainsi : “…une femme d’âge mûr ordi­naire, une tra­vailleuse sociale qui aime se mêler de tout et la mère céli­ba­taire pré­mé­no­pau­sée d’une ado­les­cente.” Cette ado­les­cente a été adop­tée récemment.

A Dehli, Sim­ran Singh explique qu’elle ne veut sur­tout pas d’enfant et donne l’origine de sa peur de l’avion. Pour­tant, elle a pris un appa­reil pour Londres et elle est assise devant un homme à qui elle explique qu’elle veut un bébé. Neuf mois plus tôt, à Londres, Kate se déses­père de ne pou­voir mener à terme ses gros­sesses depuis qu’elle vit avec Ben.
À Gur­gaon, dans la ban­lieue de Dehli, le Dr Sub­hash Pan­dey, de retour d’une tour­née inter­na­tio­nale, se féli­cite de la moder­nité de sa nou­velle cli­nique où il mène des opé­ra­tions de ges­ta­tion pour autrui. Il reçoit Sharma qui recrute les femmes qui seront des mères-porteuses.
Aux ser­vices doua­niers de l’aéroport inter­na­tio­nal de Mum­bai, Diwan Metha est sous la pres­sion de son épouse. Elle vou­drait le voir promu, deve­nir célèbre après une belle arres­ta­tion de tra­fi­quants. Mais, c’est son patron, Nazir Ali, qui se charge de toutes les infrac­tions à la loi et en tire les hon­neurs. Et l’attention de ce der­nier est atti­rée par un lot de conte­neurs en acier des­ti­nés à une cli­nique de Gur­gaon. Nazir flaire la bonne affaire et décide de blo­quer le lot sous le pré­texte de tra­fic d’êtres humains parce qu’ils contiennent des embryons conge­lés.
Sim­ran, à Londres, ren­contre Edward Wal­ters, un don­neur de sperme, qui serait à l’origine du SIDA dont souffre la petite Ame­lia, née d’une mère por­teuse. Lorsqu’elle quitte Edward, qu’elle doit revoir, un cour­riel en lettres majus­cule lui arrive : “Tu perds ton temps. Rentre chez toi avant qu’il soit trop tard.

Le récit place la mater­nité au centre d’une intrigue habile, menée avec brio, pre­nant en compte les dif­fi­cul­tés que ren­contrent des couples pour avoir un enfant, qu’ils soient hété­ro­sexuels ou homo­sexuels. La roman­cière accote son roman sur les formes de ges­ta­tion assis­tée, de la Fécon­da­tion In Vitro aux mères-porteuses, avec toutes les variantes pos­sibles. Elle intro­duit éga­le­ment des élé­ments rela­tifs aux tech­niques de thé­ra­pie cel­lu­laire, le pou­voir des cel­lules souches embryon­naires, et les espoirs que celles-ci peuvent faire naître.
Mais, comme dans toutes avan­cées humaines, tech­niques ou sociales, l’aspect posi­tif est immé­dia­te­ment com­pensé par des déviances, des excès. Les enjeux de cette thé­ra­pie sont colos­saux. Il y a de plus en plus de per­sonnes souf­frantes ou vieillis­santes qui peuvent avoir une amé­lio­ra­tion de leur état, voire une gué­ri­son avec ces trai­te­ments. Des gens for­tu­nés n’auront aucun scru­pule à se ser­vir d’embryons.

Kish­war Desai fait état de la situa­tion en Inde avec la demande crois­sante de mères-porteuses. Elle évoque sans fard la situa­tion des femmes indoues qui ne peuvent pro­créer et les démarches folles qu’elles mènent pour ne pas être répu­diées. Dans des temples, des prêtres odieux vendent aux enchères des cruches d’eau « mira­cu­leuses » capables de les rendre fécondes.
A tra­vers le regard de cette héroïne si atta­chante, l’auteur mène nombre de réflexions sur la société occi­den­tale et indoue. Elle dénonce la cor­rup­tion endé­mique qui sévit dans toutes admi­nis­tra­tions, les blo­cages reli­gieux, la recherche par tous les moyens de la mater­nité et les vau­tours qui voient là une pos­si­bi­lité d’enrichissement.

L’ori­gine de l’amour se révèle un roman pas­sion­nant pour son ouver­ture sur une société encore mal per­çue dans sa com­plexité, sur les pro­grès dévoyés de la méde­cine avec une intrigue docu­men­tée, sub­ti­le­ment conçue, adroi­te­ment menée jusqu’à une conclu­sion étonnante.

lire la cri­tique de La mer d’innocence

serge per­raud

Kish­war Desai, Les ori­gines de l’amour (Ori­gins of Love), tra­duit de l’anglais (Inde) par Benoîte Dau­vergne, l’aube, coll. “Poche Noire”, février 2020, 544 p. – 13,90 €.

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