Vénus Khoury-Ghata, Demande à l’obscurité

Le rouge et le noir

Vénus Khoury-Ghata pour­suit son oeuvre d’exigence. Ici en deux pans : “Le dit du haka­wati” suivi “Des hommes et des loups” (la dif­fé­rence entre les deux étant des plis minces). La femme — exi­lée ou non — est bien dif­fé­rente des “dor­meurs du ravin” et leur “odeur de mau­vais tabac”. Ils ne sont en rien digne de confiance.
Et si l’auteure les com­pare à des arbres, c’est pour sou­li­gner com­bien ils en sont le par­fait opposé : la plu­part du temps, l’homme “tronc” n’est que de pas­sage et peu inté­ressé par le sort de celles qu’il accom­pagne un moindre temps.

La guerre (et tout ce qu’elle char­rie d’exil et de cruauté) une nou­velle fois est omni­pré­sente. Mais Vénus Khoury-Ghata en renou­velle la poé­tique.
Le pre­mier “dit” (long poème sans scan­sion) ne manque pas d’ironie dans la façon de déve­lop­per des vies quo­ti­diennes qui sont revues et cor­ri­gées jusque par un curé qui aurait sou­haité pour le per­son­nage fémi­nin cen­tral un retour en Thes­sa­lie et ses décors de Dis­ney­land où elle aurait fait du pain tous les jours et des enfants “les années bissextiles”.

Mais la seconde par­tie est beau­coup plus sombre et sans appel dans les meurtres que l’auteure évoque. Elle les dis­tille comme à l’envers des mots et des lin­ceuls puisque tout est sug­géré plus que dit afin d’imprégner la sen­si­bi­lité des lec­teurs. Par­tant d’une poé­sie  qui semble ne pas en être, elle devient la plus forte qui soit et rap­pelle celle du « Dépeu­pleur » de Beckett.
L’auteure prouve que, contrai­re­ment à ce que cer­tains pensent, la poé­sie a ses rai­sons que la rai­son com­prend. C’est pour­quoi Demande à l’obscurité est riche de mémoires tor­ren­tielles. L’auteure les porte en elle comme elle se charge des ter­reurs du pré­sent. Elle met néan­moins dans ses textes un ave­nir. Emane de l’ensemble une vérité intem­pes­tive et intran­si­geante où la vio­lence est pré­sen­tée d’une manière à ne pas l’épuiser dans une sen­si­ble­rie de surface.

En dévers,  pointe une autre vérité. Celle d’une  plé­ni­tude espé­rée qui n’est pas encore (et c’est un euphé­misme) pour toutes les femmes et encore moins évi­dem­ment pour les“noyés” qui ont suc­combé sous le joug de ceux qui pré­tendent aux len­de­mains qui chantent. C’est pour­quoi l’auteure coupe tout lyrisme dont “l“excédent est laissé aux four­mis”.
Les inno­cents ont besoin d’une parole plus cer­clée pour qu’ils y retrouvent leurs propres mots étouf­fés ou enfouis à jamais et leur dignité.

jean-paul gavard-perret

Vénus Khoury-Ghata, Demande à l’obscurité, Edi­tions du Mer­cure De France, Paris, 2020, 100 p. — 15,00 €. 

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Filed under Chapeau bas, Poésie

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