Philippe Pelaez & Victor L. Pinel, Puisqu’il faut des hommes — “Joseph”

Des retours bien difficiles !

Le récit se déroule en 1961. La “paci­fi­ca­tion” de l’Algérie bat son plein. Les contin­gents d’appelés four­nissent le gros des sol­dats enga­gés dans des com­bats qu’en large majo­rité ils refusent.
Mais déser­ter n’est guère possible…

Joseph revient chez lui, dans la ferme de ses parents. Quand son père l’aperçoit, il se cache der­rière un arbre. Il n’est pas le bien­venu. Si sa mère, par contre, est ravie ; son jeune frère le traite de lâche. Ce der­nier est en fau­teuil rou­lant suite à un acci­dent avec le trac­teur, pen­dant que Joseph était sous les dra­peaux. Dans le vil­lage, il ne ren­contre que peu de sym­pa­thie, tous lui repro­chant d’avoir passé son temps dans des bureaux ou à l’État-major.
Les nom­breuses lettres qu’il a envoyées à Mathilde ne lui sont jamais arri­vées, ces lettres où il lui déclare encore et encore son amour comme lors de leur ultime ren­contre, dans la grange, avant son départ. Il a appris la cui­sine ber­bère et pro­pose à René, le tenan­cier du seul café-restaurant du vil­lage, de l’aider en cui­sine. Mais un client, enten­dant la pro­po­si­tion, s’offusque. Il ne veut pas man­ger “de la bouffe de bicot”.
Mathilde s’est pro­mise au fils du bou­cher, alors qu’une autre Mathilde, qui assure la tenue du gui­chet du bureau des postes, est amou­reuse de Joseph. Chez lui, son père lui reproche son enga­ge­ment alors que l’accident de son frère, pro­mis à une belle car­rière cycliste, a posé d’énormes pro­blèmes dans la ferme. Joseph est en butte à nombre de reproches jusqu’au moment où… Mais, il n’est pas ren­tré indemne et quand il croise un gamin qui court…

Avec cette his­toire, le scé­na­riste aborde de nom­breux pro­blèmes qui avaient cours dans le début des années 1960. D’abord, il y a ce conflit qui trau­ma­tise une géné­ra­tion de jeunes appe­lés, leurs parents, leurs épouses, leurs fian­cées qui trem­blaient pour ces gar­çons envoyés de l’autre côté de la Médi­ter­ra­née avec une réelle crainte pour leur vie.
C’est aussi la situa­tion des agri­cul­teurs à la tête de petites exploi­ta­tions qui, avec le Remem­bre­ment, voient leurs petites par­celles dis­pa­raître au pro­fit d’une ren­ta­bi­lité qui a occa­sionné la dis­pa­ri­tion de nom­breuses fermes.

Il met en toile de fond le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT), ces troubles de com­por­te­ment qui peuvent sur­ve­nir après des évé­ne­ments dra­ma­tiques. Ils peuvent frap­per des per­sonnes confron­tées à la mort, à une grave bles­sure. Mais ce sont aussi des sol­dats lors des conflits qui peuvent être les plus tou­chés, un trouble qui a été pointé depuis des mil­lé­naires sans lui don­ner une réelle impor­tance.
Héro­dote l’évoque pour la bataille de Mara­thon, on découvre des cita­tions dans l’Odys­sée, lors de la guerre de Cent Ans. Des méde­cins mili­taires s’y inté­ressent dans le sillage des guerres napo­léo­niennes. Mal­gré la néga­tion, la réfu­ta­tion des gou­ver­nants et des chefs d’États-majors, c’est pen­dant la Grande Guerre qu’ils se sont révé­lés les plus nom­breux. Les noms ont varié selon les pays. C’était l’Obu­site en France, La Krie­gneu­ro­sen en Alle­magne… Il n’empêche que des sol­dats tou­chés ont été fusillés pour simu­la­tion, lâcheté.

Le scé­na­riste place, cepen­dant, comme thème prin­ci­pal le sacri­fice et ce, à plu­sieurs niveaux de lec­ture. Avec ces thèmes mul­tiples, une gale­rie de per­son­nages suf­fi­sam­ment diver­si­fiée pour pré­sen­ter divers pro­fils psy­cho­lo­giques et socio­lo­giques, Phi­lippe Pea­lez pro­pose une intrigue dense, aux dia­logues toniques, appro­priés aux situa­tions.
Vic­tor L. Pinel a immé­dia­te­ment été retenu par l’éditeur au vu des quelques pages d’essai réa­li­sées à la demande du scé­na­riste. Son des­sin épuré donne une force par­ti­cu­lière aux dif­fé­rentes phases de l’histoire. Il met l’accent sur les per­son­nages, don­nant à ceux-ci une ges­tuelle effi­cace et signi­fi­ca­tive. Il place des atti­tudes réa­listes et met en scène des tâches quo­ti­diennes, des tra­vaux de ferme, des ren­contres ou des situa­tions plus ter­ribles. Les décors, s’ils sont bien pré­sents, res­tent tou­te­fois très symboliques.

Avec ce one-shot, Les auteurs font revivre, avec brio, une période dif­fi­cile, met­tant en lumière les contre-coups subis pen­dant un conflit et sur­tout durant le retour à la vie civile.

lire un extrait

serge per­raud

Phi­lippe Pelaez (scé­na­rio), Vic­tor L. Pinel (des­sins et cou­leurs), Puisqu’il faut des hommes – Joseph, Bam­boo, coll. “Grand Angle”, jan­vier 2020, 64 p. – 15,90 €.

 

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