Seth, Clyde Fans

L’équi­pée d’un ratage

L’action se déroule dans un immeuble de Toronto, dans les années 1950, et dans les années 1970, au moment où l’entreprise de ven­ti­la­teurs élec­triques en déclin “Clyde Fans” tenue par deux frères que tout oppose fait faillite. L’un est com­mer­cial invé­téré, l’autre est mutique, reclus et inadapté face à une réa­lité qui pour lui n’existe pas.
Le récit mixe le par­cours fami­lial des frères — aban­don­nés par leur père lorsqu’ils étaient enfants et dont la mère est sur le point de décé­der — et une réflexion sur la moder­nité à tra­vers l’échec de la fabrique tuée par l’avènement de l’air conditionné.

L’auteur et illus­tra­teur cana­dien Seth crée par ce biais une sorte d’autofiction et un roman gra­phique d’exception en noir et blanc et gris et bleu. L’histoire est dépri­mante à sou­hait mais selon une nar­ra­tion sans faille. La notion de roman gra­phique se trouve à son zénith.  Tout com­mence — après 26 pages d’images — par un mono­logue ver­ti­gi­neux qui dure 100 pages.
En 5 par­ties, le livre qui pour­rait être ennuyeux est super­be­ment arti­culé, entre mémoire et sou­ve­nirs des deux frères, en une struc­ture habile là où la vraie fin - déca­lée en qua­trième par­tie - est superbe.

Ce livre avait paru en par­tie chez Cas­ter­man. L’auteur obses­sion­nel met en scène deux per­son­nages qui le sont tout autant. Le temps s’arrête dans un ennui volon­tai­re­ment reven­di­qué comme tel face à l’écrasement d’un monde étouf­fant  et sans espoir qui rap­pelle l’univers d’un Emma­nuel Bove ou d’un Kafka.
Dans une sorte de neu­tra­lité des­crip­tive écrite et en images — et par­fois en un déca­lage entre les deux  -,  une dis­jonc­tion  sou­ligne le déli­te­ment. L’oeuvre devient extra­or­di­naire dans son expres­sion de l’existence et ses dif­fé­rents types d’insignifiance.

Le sujet tient dans le gra­phisme et sa beauté. Il dépasse la simple nos­tal­gie même si l’image ne cesse de la rap­pe­ler en une élé­gie du médiocre. Les deux frères, dans des pos­tu­la­tions dif­fé­rentes, débouchent sur le même ratage.
En fili­grane se des­sine une cri­tique du libé­ra­lisme dans une his­toire d’éternité de l’ennui. Et sa persévérance.

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jean-paul gavard-perret

Seth, Clyde Fans, tra­duc­tion de Lau­rène Filloud, Let­trage fran­çais de Nicola Ber­trand, Edi­tions Del­court, Paris, 2020, 500 p. - 50,00 €. 

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Filed under Bande dessinée, Chapeau bas

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