Quand les zones d’ombre d’une commandante de police…
Avec cette enquête de la commandant Helen Grace, de la police de Southampton, M.J. Arlidge explore le milieu sadomasochiste d’une ville de province. En s’appuyant sur un club spécialisé, il dissèque les personnalités des participants, les actes auxquels ils se livrent, la façon dont s’organisent ceux qui sont des adeptes de ce type de pratique et les motivations qui les animent selon leurs préférences entre être dominé ou être dominateur.
Lors du Grand Gala, l’événement sado-maso du sud de l’Angleterre, un homme se laisse ligoter, emmailloter, dans une salle discrète. Mais le « jeu » tourne au meurtre quand l’adhésif lui bloque la respiration.
Sally est inquiète. Paul, son époux, lui ment quand il dit travailler tard. Elle a appelé son bureau et la secrétaire a répondu qu’il était parti à 17 heures.
Charlie Brooks, nouvellement promue capitaine, est de garde quand on la prévient d’une présomption d’homicide au Cachot, un lieu bien connu de Southampton. Avertie par elle, la commandant Helen Grace, sur les lieux, découvre un cadavre ligoté sur une chaise, entouré de rubans adhésifs et de bandelettes. Avec moult précautions, pour ne pas détruire d’indices, elle dégage le visage et se fige. Elle sort précipitamment pour vomir plus loin. Elle a reconnu Jack, son dominateur qu’elle avait beaucoup fréquenté, il y a encore deux ans.
Paul est rentré. Sally fait semblant de dormir. Il voudrait lui parler, lui avouer qu’il est devenu un homme nouveau et qu’il n’arrêtera jamais…
Les enquêteurs identifient rapidement la victime, mais Helen cache soigneusement le fait qu’elle le connaît ne voulant pas révéler ses zones d’ombre et tirer, de ce fait, un trait sur sa carrière. Elle efface toutes traces pouvant la relier à Jack.
Mais quand Max Paine, qui la déteste, découvre, aux infos, que la commandant Grace dirige l’enquête, il voit là une occasion en or pour se faire de l’argent, un bon paquet de fric…
Helen Grace, à l’image d’Hermès, possède deux visages, deux personnalités qu’elle dissimule de manière efficace en s’astreignant à une parfaite maîtrise. Son passé pèse lourd sur son présent, les traumatismes subits l’amènent à prendre des attitudes risquées. Pour tenter de calmer ses démons, de les combattre, elle se dépasse, oblige son corps à se surpasser. Si, dans son poste, elle semble maîtriser ses pulsions, mener ses collaborateurs avec efficacité, dans sa vie privée c’est le chaos. C’est pourquoi elle a été chercher quelques apaisements dans le sadomasochisme. Et, dans la nouvelle affaire dont elle a la charge, ses agissements passés n’en finissent pas de lui revenir en pleine figure.
La vie de l’équipe n’est pas occultée avec les ambitions des unes et des autres, avec le souci de gagner l’estime de Grace ou de la conserver. Avec ces éléments, ces matériaux, M. J. Arlidge apprête une intrigue où il multiplie les aléas, les rebondissements, les périls, en faisant suivre différents parcours, en peaufinant nombre d’impasses pour les enquêteurs et en resserrant les mâchoires d’un piège qui risque de broyer l’héroïne. Celle-ci doit se battre, ainsi, sur deux tableaux en ayant la charge de faire progresser l’enquête et en essayant de tout faire pour cacher les liens qu’elle a entretenus avec ce milieu.
En proposant des chapitres courts, voire très courts (129 en 400 pages), le romancier passe rapidement d’un protagoniste à l’autre jusqu’à une conclusion pétrifiante. Il est préférable de lire le présent roman avant une suite racontée dans A cache-cache, le nouvel épisode des enquêtes d’Helen Grace paru aux éditions Les Escales en février 2020.
Un roman passionnant qui ouvre sur un univers dont la confidentialité reste de mise, compte-tenu des goûts spéciaux nécessaires, mis en scène dans une enquête exceptionnelle maîtrisée de bout en bout avec un incontestable talent.
serge perraud
M.J. Arlidge, Oxygène (Little Boy Blue), traduit de l’anglais par Séverine Quelet, Éditions 10/18, coll. « Domaine Policier », n° 5518, février 2020, 408 p. – 8,40 €.