L’archange de la mort révolutionnaire
Antoine Boulant, auteur d’une remarquée histoire du Tribunal révolutionnaire, complète sa réflexion sur la révolution française et la période de la Terreur avec une belle biographie d’Antoine Saint-Just, qu’il surnomme l’archange de la Révolution, alors qu’il fut bien celui de la mort, selon l’expression de Michelet. La mort par la Terreur et pour la Révolution.
La haine pour l’Eglise, le christianisme et la noblesse, Saint-Just l’hérita de ses années de jeune provincial, sur lesquelles l’auteur insiste avec beaucoup de précision et de justesse. Années de formation décisives pour un ambitieux qui exprima très tôt son admiration pour Robespierre et qui connut un parcours somme toute assez semblable. Il réussit à se faire élire député et à attirer l’attention sur lui.
Suffisamment pour très vite intégrer les hautes sphères de la Révolution. Mais la mort l’enveloppait déjà puisque ce fut en appelant à l’exécution de Louis XVI, coupable seulement d’être roi, qu’il sortit de l’anonymat.
L’ouvrage nous apprend beaucoup sur l’œuvre militaire de Saint-Just auprès des armées révolutionnaires, bien moins connue que son versant politique ; mais aussi sur l’idéologie du jeune député, mélange de rousseauisme, de vénération pour Sparte, de défense de la petite propriété et de l’artisanat, de lutte acharnée contre la pauvreté.
Ce qui retient toutefois l’attention dans l’analyse d’Antoine Boulant, c’est la dynamique totalitaire qu’il décèle dans le programme politique de Saint-Just et plus précisément dans son volet éducatif, lequel prévoyait d’arracher les enfants à leurs parents. « Seuls l’exercice d’une Terreur généralisée et un contrôle de l’Etat sur chaque individu, évidemment impossibles à mettre en œuvre dans la France de la fin du XVIII siècle, eussent été susceptibles de contraindre les parents à se séparer de leurs fils [..] ou les catholiques et les athées à franchir la porte de temples consacrés au culte d’un Être suprême. »
On est là au cœur de la nature totalitaire de la Révolution. Car, comme le décrypte très bien Antoine Boulant, la Terreur ne fut jamais pour Saint-Just un accident de l’histoire ou une obligation imposée par les circonstances, mais l’instrument de naissance de l’homme nouveau de 1793, l’arme nécessaire pour détruire et reconstruire, anéantir et refaire, purger et régénérer.
Oui, c’est vrai. La Révolution est glacée.
frederic le moal
Antoine Boulant, Saint-Just. L’archange de la Révolution, Passés/composés, janvier 2020, 350 p. — 22,00 €.