Tim Bouverie, Apaiser Hitler

L’ennemi n’en est pas un

Avec un don tout anglo-saxon du récit his­to­rique, Tim Bou­ve­rie décrypte avec brio les méandres de la poli­tique d’appea­se­ment que les diri­geants bri­tan­niques mirent en œuvre dans l’espoir illu­soire de rete­nir Hit­ler sur le che­min de la guerre. Disons tout de suite que l’auteur n’échappe pas aux pièges du mani­chéisme qui, presque inévi­ta­ble­ment, pousse à sépa­rer appea­sers et anti-appeasers par une fron­tière un brin morale, entre gen­tils et méchants.
Tout comme il suc­combe à cer­tains rac­cour­cis. Tel celui lui fai­sant dire que Mus­so­lini est à l’origine directe du meurtre de Mat­teotti — ce qu’aucun his­to­rien sérieux du fas­cisme n’affirme – ou que le paci­fisme rele­vait en France des cou­rants de droite, alors qu’il se mani­fes­tait tout autant, sinon plus, à gauche.

Passons sur ces points pour nous concen­trer sur le fond de l’ouvrage. Tim Bou­ve­rie trace un por­trait aussi pré­cis que juste de Cham­ber­lain, qui incar­nera à jamais cette poli­tique aveugle faite d’un mélange d’idéalisme, de paci­fisme et d’optimisme reli­gieux. Mais il rap­pelle aussi qu’une large par­tie de la classe poli­tique, média­tique et aris­to­cra­tique d’outre-Manche se four­voya avec lui, non sans décrire en détails le rôle néfaste que les conseillers offi­cieux et les diplo­mates ama­teurs jouèrent dans le nau­frage de la diplo­ma­tie anglaise.
Peut-être aurait-il dû davan­tage s’interroger sur le rôle de George VI dans cette affaire puisqu’on sait que le roi était un fervent appea­ser et sou­tien de Chamberlain.

Autre point fort bien mis en lumière : la com­plexité des per­son­na­li­tés et l’ambivalence de leurs com­por­te­ments. Ainsi Bou­ve­rie rappelle-t-il fort à pro­pos qu’Anthony Eden ne fut jamais un résis­tant de la pre­mière heure, et que s’il se dressa de toute sa hau­teur contre Mus­so­lini – à l’image du Front popu­laire en France –, il s’avéra bien plus flot­tant face au démon de Ber­lin.
De même, l’auteur retrace le par­cours de lord Hali­fax, autre incar­na­tion de l’appeasement – et qui le res­tera après le suc­cès du magni­fique film Les heures sombres – mais qui connut son che­min de Damas au moment de Munich.

Enfin, on retien­dra une autre évo­lu­tion, celle de l’opinion publique. Incon­tes­ta­ble­ment paci­fiste – ce que ne man­quaient pas de rele­ver les appea­sers pour se jus­ti­fier –, elle se radi­ca­lisa à par­tir de la fin des années 1930 pour en fin de compte sou­te­nir une poli­tique de fer­meté qui sera celle de Chur­chill.
En fait, les Bri­tan­niques avaient changé leur fusil d’épaule avant leurs propres diri­geants qui menaient une poli­tique désor­mais glo­ba­le­ment rejetée.

Que de leçons pour aujourd’hui !

fre­de­ric le moal

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Tim Bou­ve­rie, Apai­ser Hit­ler, Flam­ma­rion, jan­vier 2019, 672 p., 29 €

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