L’espionnage revisité par un maître de l’angoisse
Dans ce roman, Serge Brussolo développe une intrigue qui s’articule autour des méandres de l’espionnage, des arcanes du métier d’espion, des aventures exotiques où le danger rôde sans cesse. Il ajoute un aspect fantastique, une éducation pleine de chausse-trappes. Il imagine un parcours particulièrement difficile pour son héros entre le moment où celui-ci comprend ce que veut faire son frère et le temps qu’il passe dans la paranoïa de cette villa sécurisée.
Le romancier, comme il excelle à le faire, le confronte au doute, lui propose des affirmations qui semble bien solides, des situations qui paraissent bien assises, mais qui se révèlent sujettes à l’interrogation, à la contradiction. Rien n’est stable, établi, fidèle. Tout est susceptible de basculer à tout moment dans la pire des violences. Mais est-ce si éloigné de la réalité ?
Jérémie Stalion approche de la trentaine. Il se terre dans une luxueuse villa ultra-sécurisée à Los Angeles. Une statue maléfique le poursuit au long de ses nombreux cauchemars. Il absorbe de hautes doses de médicaments, les psychiatres ayant diagnostiqué qu’il était bipolaire, schizophrène et atteint d’une psychose hallucinatoire.
Il revient sur son enfance, son adolescence, se souvenant d’avoir toujours vécu en lisière de l’Amazonie avec son frère aîné Jonah. Son père, ingénieur agronome part pour de longues missions de déforestation. Les deux garçons vivent en totale liberté, se nourrissant de récits d’aventures exotiques et fantastiques en compagnie d’une mère peu soucieuse de leur éducation.
Leur père est ramené, grièvement blessé, par Diego, un hispano-chirurgien. Celui-ci s’installe dans la maison jusqu’à la guérison. Se plaisant dans les lieux, il décide de créer un dispensaire pour soigner les populations locales. Leur mère s’investit dans un rôle d’infirmière. Pour éviter la destruction totale de la maison envahie par des termites, Diego et sa mère font appel à Isaki, un chaman jivaro. Il porte avec lui une hotte tressée qui contient les cendres de tous mes membres de sa tribu, tribu massacrée.
Attiré par tous ce qui est mystérieux, comme les géoglyphes de Nazca, les légendes sur les extraterrestres, Johah se laisse convaincre par Isaki qui lui promet des révélations étonnantes contre du sang pour réveiller les cendres vives de son cimetière portatif. Et Jonah persuade Jérémie de les accompagner à l’endroit où doit se dérouler cette grande cérémonie…
La lecture des faits divers, si bien relayés aujourd’hui par des médias avides de sensationnel, montre que la démence couve sous une bien mince couche de vernis social. La divulgation de faits révèle des situations, des actes qui peuvent paraître invraisemblables tant dans la barbarie que dans l’humanisme et qui, pourtant, se sont déroulés dans des cadres ordinaires, presque quotidien, quand la folie des hommes déferle sur le plus grand nombre.
Et Serge Brussolo propose une chute dantesque, comme il en a le secret, avec une cascade de révélations qui prennent les lecteurs à contre-pied.
Pour faire vivre cette intrigue nourrie d’incertitudes, de troubles, d’ambiguïtés, l’auteur conçoit une galerie de personnages superbes, chacun dans leur rôle, quel que soit le côté où ils agissent. Il n’hésite pas à décrire des blessures, leurs conséquences sans faire dans la dentelle. Il truffe son récit d’images fortes et appropriées.
Quand Jérémie émet quelques doutes quant à la valeur d’une information du chaman jivaro ayant toujours vécu au cœur de la jungle épaisse : “Qu’est-ce qu’Izaki savait des véhicules modernes ? Sa conception de la technologie de pointe se résumait à une charrette tirée par un âne !”
Avec Cendres vives, Serge Brussolo livre une belle vision de l’univers de l’espionnage dans un récit qui, avec une part de fantastique, tient en haleine de bout en bout.
serge perraud
Serge Brussolo, Cendres vives, H&O, coll. Poche n° 39, février 2020, 320 p. – 8,90 €.