Lire notre entretien avec l’artiste
Bounce : l’art et le chaos
En art le chaos n’existe pas. Au mieux, c’est une abstraction parce qu’il est inséparable de ce que Deleuze nomma “le crible” qui en fait sortir quelque chose. Ce crible chez Bounce est très influencé par la littérature manga et le street-art auquel l’artiste taïwanais appartient. Ses constructions possèdent une singularité si bien que parler uniquement de « street-art » serait sans doute réduire la dimension de l’œuvre. Elle prouve comment le chaos en peinture est en fait un ensemble des possibles. Bounce les mixe afin de mettre à mal les dispositifs et les perceptions réglées selon l’art académique (du moins en occident). Bounce propose dans son approche des vibrations et une infinité d’harmoniques.
Dans des œuvres parfaitement construites, les couleurs sombres dominent ; le noir, les ocres, le rouge. La couleur lie à la vie en déliant les effets de simple narration par combustion interne. Bounce cherche l’irradiation du dessin où émergent des figures mythiques là où la science-fiction et la mécanisation de l’individu (sous forme d’animal-machine par exemple) sont toujours présentes. Mais l’artiste connaît le péril qui souvent guette l’art du graffiti : celui de la saturation. C’est pourquoi il propose divers types d’aération. Ils donnent à ses visions une clarté poétique au sein de ce qui pourrait devenir étouffant. Surgit la pulpe d’un monde lointain et proche. Tellurique, violent autant que doux et parfois matriciel.
Emergent en parallèle un mouvement double des flux, des absorptions au sein de la figuration. Chaque être en effet se métamorphose. Et le spectateur se retrouve autant pris au sein d’une compacité de formes et de couleurs que porté vers un seuil d’égarement et d’errance. Il convient d’en tirer les conséquences : aller au bout de ces portraits immenses. Ils permettent de marcher en nos labyrinthes, dans toute leur longueur et dans tous leurs recoins, afin de savoir de quoi ils sont faits, pourquoi ils nous retiennent.
Le travail de Bounce reste la recherche d’un équilibre et d’un déséquilibre. Quelque chose attend, revient. Le rouge est mis dans ce fondu de lumière qui délivre les prisonniers enchaînés à leurs glaciations. L’image ne porte plus d’ombre ou si peu qu’on peut glisser dedans. Pour éprouver une liberté aussi inconnue que le soldat du même nom et qui aurait bien échangé ses armes pour ces figurations où l’humour et un aspect juvénile et ludique restent présents. C’est là la preuve que Bounce sait distribuer couleurs et énergies. Sa peinture est pour lui une aventure intérieure liée à l’évolution du monde.
Une telle peinture se moque de la distinction entre la culture populaire et la culture bourgeoise. Bounce a grandi dans un environnement urbain. Les musiques punk, rock, électro l’ont nourri. Il garde aussi la lucidité de la situation de son pays qui reste encore à cheval sur deux mondes. Même si le rouleau compresseur de la mondialisation démolit les frontières économiques et culturelles de même que les modes de représentation. Le plasticien maîtrise ces nouvelles données. Son travail ne cesse de prendre la mesure de la réalité confuse et brutale de l’existence. Il ne s’agit plus de représenter la réalité d’un moment mais de donner corps à des figurations mythiques et poétiques dans un temps où le monde tombe en morceaux pour certains pays et renaît de ses cendres pour d’autres.
Bounce, appartenant aux seconds, ne se situe pas dans l’affirmation moderniste et contestable de la mort de la peinture. L’artiste lui reconnaît tout son pouvoir. Le noir y représente moins la marque d’une neutralité que la « dark matter » manifeste d’un état d’esprit capable, à partir de ce noir de fond, de créer de vertigineuses sensations de vitesse et d’espace. Les couleurs deviennent chaudes à force d’être froides, le lointain contamine le proche et la vitesse se mue en éternité en un ordre du désordre adapté aux exigences de son époque.
En résumé, l’artiste garde une vision nouvelle car il refuse les rapports traditionnels qui unissent l’homme à l’univers comme à sa propre représentation. Bounce appréhende la simultanéité des sensations et des éléments cosmiques au niveau de la conscience. Sa peinture est donc bien le combat pour la mise en place d’un ordre dans le chaos. La violence du monde s’y résout en une sorte d’accords étranges.
jean-paul gavard-perret
« Bounce Autumn code », Genève Taiwan Contemporary art, Artishok et Victor Contemporary, Genève, 1er décembre 2012 au 5 janvier 2013.
« Bounce Solo », Galerie Victor, Contemporary Art, Genève, Du 25 janvier au 5 février 2013.