Michel Bussi, Au soleil redouté

“Excellent ! Déli­cieux !! Magis­tral !!! Un régal !!!!”

Une femme observe Pito, le jar­di­nier, bra­con­ner dans les pis­cines natu­relles au bout de la baie des Traîtres. Il lui explique que, si l’on sait doser cor­rec­te­ment la poudre de la noix d’hotu, pour­tant un poi­son violent, on peut endor­mir les pois­sons…
Cinq lec­trices sont lau­réates d’un concours d’écriture. Cet ate­lier se déroule sur l’île d’Hiva Oa, la plus connue de l’archipel des Mar­quises, dans la pen­sion Au soleil redouté. Pierre-Yves Fran­çois (PYF), l’empereur du best-seller anime l’atelier. C’est par le canal de son jour­nal, que Maïma raconte. Trois jours après avoir atterri à l’aéroport Jacques Brel, elle s’introduit dans la chambre de Clem, car il y a urgence après tant de sang versé, tant de morts.

Et le récit revient deux jours plus tôt. Les cinq lau­réates sont réunies autour de PYF qui trône et dis­tri­bue les exer­cices. Le roman qu’elles doivent écrire, l’exercice n° 1, porte pour titre Ma bou­teille à l’océan. Elles doivent écrire, écrire, tout noter. L’exercice n° 2 est une sorte de tes­ta­ment où cha­cune exprime ses sou­haits : Avant de mou­rir, je vou­drais…
Il y a là Clé­mence Novelle qui vit pour écrire, Mar­tine Van Ghal, une mamie belge, Farèyne Mörs­sen, com­man­dante de police à Paris, Marie-Ambre Lan­tana, mariée au plus gros pro­prié­taire de fermes per­lières, Eloïse Longo, une jeune femme dont la beauté est égale à sa rete­nue. Com­plètent le groupe, Maïma, la fille de Marie-Ambre, seize ans, Yann, l’époux de Farèyne, capi­taine de gen­dar­me­rie, Tanaé, la patronne de la pen­sion, Poe et Moana ses deux filles qui l’assistent.

Pour les aider à démar­rer leur livre, PYF sug­gère d’écrire un roman poli­cier et, mieux que la décou­verte d’un cadavre, de com­men­cer avec une dis­pa­ri­tion. Elle est plus inter­ro­ga­tive. Et c’est lui qui dis­pa­raît. On ne retrouve que ses vête­ments empi­lés avec, des­sus, un galet tatoué et un mes­sage d’une ving­taine de lignes. Puis, Mar­tine est retrou­vée assas­si­née, une aiguille de der­mo­graphe plan­tée dans le cou…
C’est à tra­vers les écrits des dif­fé­rentes lau­réates et le jour­nal de Maïma que Michel Bussi déroule son intrigue. Il ima­gine une sorte de huis clos à ciel ouvert, sur une île, dans l’espace de la com­mune d’Atuona. Il pro­pose une his­toire mul­tiple, construite méti­cu­leu­se­ment, entre­croi­sant les inter­ven­tions des unes et des autres dans un dérou­le­ment flam­boyant jusqu’à une admi­rable pirouette finale.

En géo­graphe blan­chi sous le har­nais, le roman­cier n’oublie pas de don­ner de mul­tiples détails sur le décor de son récit, infor­ma­tions tant géo­gra­phiques que socio­lo­giques, tant mytho­lo­giques qu’historiques. Il expli­cite, par exemple, la nature et les rai­sons de ces Tikis, sta­tuettes que l’on trouve en abon­dance dans l’île, le Mana, cette force inté­rieure aux mul­tiples facettes. Il donne les racines de la société mar­qui­sienne, les rai­sons de son appel­la­tion Le Pays des hommes.
Avec nombre de cita­tions extraites des chan­sons de Jacques Brel, il rend un hom­mage à ce grand auteur, d’où le titre, d’ailleurs. Mais, s’il dresse un beau por­trait du poète belge, il tacle, par le biais de sa pétu­lante héroïne, l’homme, ainsi que Gau­guin : “C’est si facile de par­ler de l’enfance avec des mots de poète ou le pin­ceau d’un peintre, tout en lais­sant sa femme éle­ver ses enfants dans le plat pays à quinze mille kilo­mètres de là.” Il fait de même avec les écri­vains quand Maïma, en voyant les cinq lec­trices boire les paroles de PYF, dit : “Je me retiens de rire. Maman et les quatre autres ont par­couru quinze mille kilo­mètres pour écou­ter un tel bara­tin.

L’auteur dis­tille un humour sub­til tout au long de son récit, réser­vant la meilleure part avec le jour­nal tenu par Maïma. Il lui fait tenir des pro­pos cocasses, lui attri­bue des réflexions pleines de bon sens, sans langue de bois. C’est drôle, enlevé, avec des dia­logues pétillants. Bussi fait dou­ter de l’honnêteté des résul­tats des concours. En fil rouge, l’amour tra­verse tout le roman, sa décou­verte, sa beauté, sa fin, les rup­tures et leurs consé­quences, la dif­fi­culté à le main­te­nir, à l’entretenir, à le trou­ver, et aussi à le retrou­ver, l’amour des enfants, pour ses enfants…
Chaque page doit être lue avec atten­tion. Il faut lut­ter contre la ten­ta­tion très forte de tour­ner celles-ci rapi­de­ment pour en savoir plus, pour avan­cer dans l’intrigue, trem­bler pour les per­son­nages atta­chants qu’il anime, et pour sa si cra­quante héroïne.

M. Bussi, un grand coup de cha­peau, c’est une démons­tra­tion lit­té­raire magis­trale ! Il faut savoir aussi que Michel Bussi fait don de 10 % de ses droits d’auteur au Secours Popu­laire. Alors…

serge per­raud

Michel Bussi, Au soleil redouté, Presses de la Cité, Février 2020, 432 p. – 21,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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