Portrait du ravaudeur en Dédé à coudre
La réédition de deux textes de Verheggen permet entre autres de prouver que L’Idiot du Vieil-Age restera le meilleur scrutateur de Tintin . En quelques mots, il met à bas bien des verbiages de doctes sages. Le poète a d’ailleurs découvert très tôt celui qui répond à ce qui est attendu d’un héros: ils ne font “ni pipi ni caca ». Et d’ajouter qu’on ne sait rien de ses liquettes (sont-elles au clou ?) et même s’il en porte.
Puis de préciser : « Quand il a bu, sa petite verge et ses deux guiboles flageolent. C’est un tortillon qu’il a dans sa culotte golf ! Un lombric dans du chutney ! » et cela avec un doigt de sexe qui hésite entre homophilie (Haddock possiblement ad hoc) et hétérosexualité, même si la poitrine de la Castafiore « tient à distance le membre viril de Tintin ».
En postface, le poète Eric Clémens précise l’osmose qui existe entre ces deux textes du début des années 2000 réunis ici . Gisella (alias Gisèle) n’est pas n’importe qui. Elle aussi est une héroïne. Mais du réel « Tu rencontres Gisèle, tu l’épouses en 61 et, en même temps, tu prends contact avec l’italien, après le wallon et le français» rappelle Eric dans sa grande clémence.
Et Verheggen de rappeler comment grâce au regretté Jean-Claude Pirotte et Raoul Vaneigem, avec Dotremont il tord le cou de la langue et ses académismes.
Il devient dès lors l’« écrivain à Gisella » (comme il y a Dédé à coudre). Elle le rejoint dans ses dérives et sa langue « fantasme d’un adolescent qui s’en fout de l’orthographe et qui invente les mots ». Christophe Bruneel qui tenta de le traduire en néerlandais pourrait le confirmer. Loin de tout discours engagé, ce logos dégradé, dégardé mais en rien dégradant crée une poétique qui s’élève contre tous les doctes et thuriféraires.
La dérision reste présente entre désillusion et impasse politique mais qu’importe à Verheggen : « Le Titien aboie, Le Caravage passe ! ». Et Verheggen poursuit son jeu de massacre jouissif. Ici, le lapin « de Lewis Carotte parle couramment le grec et le thym”.
Et tout passe dans le grand boyau broyeur d’une telle langue. Elle se moque des formatages d’un “Booster Keaton” (à défaut de Diane chassée) qui reste l’exemple du situationnisme et du détournement.
Rien n’a lieu que son lieu afin de mettre à mal les duperies rationalistes.
jean-paul gavard-perret
Jean-Pierre Verheggen, Gisella suivi de L’idiot du Vieil-Âge, Espace Nord, Fédération Wallonie-Bruxelles, 2019, 280 p., 9 €