Fidèle aux “Emanations, explosions” de Rimbaud, “le pétomane” — comme Christian Prigent se nomme lui-même — lutte contre l’asphyxie de la langue que l’usage communautaire pollue.
Ses fictions et ses travaux critiques engagent une course de vitesse contre la fermeture stabilisée du monde telle qu’elle se mont-r-e au sein de reproductions intellectuelles du réel qui ne sont que des chromos (De Modiano d’un côté à Annie Ernaux d’un autre –- et pour ne pas citer les pires).
“Ecrire, c’est commencer, toujours recommencer” rappelle Sylvain Santi afin de traquer, chez “l’objet” de ses textes réunis ici, la fragile naissance d’une subjectivité et de canaliser — pour qu’elle soit transmissible — la folie du monde. Celle-ci permet à l’oeuvre de se poursuivre dans un rapport de force et de dérision face au logos admis.
Au nom de la formule de Lacan : “Là où ça parle, ça jouit, et ça sait rien”, Santi prouve comment Prigent crée à la fois un corpus étrangement mélancolique et une vive sensation de l’incapacité des langues apprises et des formes répertoriées à donner l’expérience qu’on se fait du réel et de la vie.
Chino et ses sbires rappellent combien le fond de l’être peut effrayer tant, écrit Prigent, il est “tissé de barbarie, ouvert à perte-pied sur la rumeur de l’inconscient, pulvérisé par la débâcle des corps et des choses dans le temps et l’atomisation de la matière”. Dans cette fiction de Prigent comme dans ses poèmes surgissent les lignes (tordues) de vie reforgées par l’exigence d’un gai savoir lucide, cruel et drôle.
Dès lors, la littérature n’est plus «gymnastiquement clouée sur sa croix de passion de la nomination». Elle s’esclaffe, se boursoufle, burlesque et volcanique, et devient ce monstre qui se fiche de toute paranoïa ou folie. Sinon celle de sage que Santi souligne.
jean-paul gavard-perret
Sylvain Santi, Cerner le réel — Christian Prigent à l’œuvre, ENS éditions (École normale supérieure de Lyon), 2019, 366 p. — 29,00 €.
Mais Prigent c’est Prigent ! Un Christian pro Lacan , pas gnangnan et en syntaxe relax . Si l’on s’en tient à la sémantique ” le fond de l’être ” ( JPGP , Chino and co ) éructe ses cruautés dramatiques en pertes hémorragiques tragiques . La littérature prend de la voilure .