Philippe Thireau, Mélancholia

Nous ne vieilli­rons pas ensemble (des clics et un claque)

Renouant avec les écrits les plus anciens d’un amour cour­tois façon Pétrarque et Aucas­sin et Nico­lette et par­fois croi­sant L’Histoire du Sol­dat de Ramuz, Mélan­cho­lia devient le dia­gramme où la ligne plate et mor­ti­fère s’accompagne de pics et de clacs. Il y a ainsi des cime­tières où  les morts ne sont pas les seuls à se rai­dir d’autant que, ne sachant pas ce qu’ils leur est advenu, ils  arrivent à mou­rir une seconde fois  de rire.
Mais il ne faut pas comp­ter sur Phi­lippe Thi­reau pour por­ter la lumière dans le désordre des êtres humains et de celui qui raconte — en poin­tant le doigt pour infor­ma­tion —  l’histoire de l“homme et celle qui pas­sait sa vie auprès de son “pour­ceau nonchalant”.

Le texte en ses frag­ments devient celui de  petits bon­heurs au milieu d’un cer­tain désastre voire d’un désastre cer­tain comme tout ce qui touche à l’humain. Mais Thi­reau n’en fait pas un fro­mage. Et du moins, s’il s’agit d’une tel met, il est bien per­sillé, salé, poi­vré. La sen­sua­lité grouille jusque chez les vers qui fini­ront le voyage de notre chair sur puis sous la terre.
L’auteur fait le sien  à rebours. Au nom d’une prin­cesses de l’azur qui ne pré­tend pas à l’innocence — ce qui convient par­fai­te­ment à celui qui tri­pote son sexe avec des doigts à la pro­preté discutable.

Le rap­port de mélan­co­lie que le texte imprime n’a en consé­quence rien de pla­to­ni­que­ment roman­tique. Il y a là “bour­rique bour­ri­cot LARGE ESPAIS ET TRES CON” note en majus­cules notre guide. Il docu­mente l’historiette de la manière la plus com­plexe — à la fois drôle et clas­sique — qui soit. Et si dans ce puzzle humain beau­coup de pièces sont notoires, elles ne sont pas toutes du même tabac et vont de l’oreille à l’anus sans déchoir.
Le tri­vial ense­mence le sub­til et c’est une manière pour l’auteur de retrou­ver l’enfant qui som­meille dans chaque pli de sa peau vieillissante.

Reste que dans ce livre aimer est le che­min. Si l’homme ché­rit, il trou­vera que le meilleur de son amou­reuse dépasse son enten­de­ment. Et avant que le trou noir accueille de lui ce qui reste, il demeure en équi­libre sur l’horizon des évé­ne­ments aux­quels l’auteur donne une bio-diversité. Ce “dit” rap­pelle com­bien ce qui me manque blesse. Mais il sou­ligne aussi  que chaque geste osé et chaque ins­tant par­tagé avec l’autre réparent.
Néan­moins de manière par­ti­cu­lière car l’auteur affec­tionne ce qui gratte et ce, avant qu’à à l’heure der­nière, la grande béance absorbe tout du sol­dat tombé au chant d’honneur  sur un champ fait de prés clos ou d’un édre­don bleu piqué de rouge.

Le dor­meur du val de Rim­baud a bien changé de cap. Et c’est réjouis­sant dans ce qui devient une sorte d’histoire d’eaux.

jean-paul gavard-perret

Phi­lippe Thi­reau, Mélan­cho­lia, Post-face de Gil­bert Bour­son, Tind­bad édi­tions, coll. Tin­bad fic­tion, Paris, 2020, 52 p. — 11,50 €.

2 Comments

Filed under Romans

2 Responses to Philippe Thireau, Mélancholia

  1. Philippe Thireau

    Un grand merci à Jean-Paul Gavard-Perret pour ce sub­til article. Je col­lec­tionne avec délec­ta­tion ses recen­sions dans lelitteraire.com, depuis “Soleil se mire dans l’eau”, “Je te mas­sa­cre­rai mon coeur” et, aujourd’hui, “Melan­cho­lia”. Son ana­lyse de “Je te mas­sa­cre­rai mon coeur” m’a beau­coup fait réfléchir.

  2. Jeanne

    j’aimerais être comé­dienne et savoir le lire à haute voix d’un trait de fusil! Magni­fique! Merci pour l’instant par­tagé le temps de la lec­ture des mots “per­sillés” mais sou­vent au delà du per­cep­tible entre les couches des tréfonds.

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