Aussi perspicace que son lointain descendant !
Deux jours après la Saint-Martin de l’an de peine 1424, Gower est épouvanté en voyant, dans la chambre d’Holmes, ce dernier brandir un coutelas sanguinolent. Autour de lui du sang séché et tout un assortiment de couteaux et d’épées. Il le rassure et explique qu’il mène une expérience. C’est un tueur de pourceaux de la Grande Boucherie qui demande à Holmes d’intervenir pour Thomas Raoulin, un de ses collègues, accusé du meurtre d’un chanoine de Saint-Magloire.
Parce qu’il avait eu gain de cause dans un procès qui l’opposait à l’abbaye, il a rendu visite, vendredi dernier au prévôt. Dans la bâtisse, il rencontre Jehan Marlet, un chanoine avec qui il a un différend. Disputes et menaces : “Je t’étriperai comme un cochon” vocifère Raoulin en brandissant son badelaire. Le lendemain, ne voyant pas Marlet, le prévôt qui a droit de haute justice se rend chez lui et le trouve assassiné. Fort de l’esclandre de la veille, il perquisitionne chez Raoulin où il trouve un badelaire avec du sang séché.
Ce qui interpelle Holmes dans cette affaire est le fait que la porte du chanoine était verrouillée. L’assassin, qui l’avait fermé derrière lui, avait une clé… Alors qu’il s’apprête à aller enquêter sur le religieux assassiné, le comte de Suffolk le fait convoquer sans retard. Ce dernier l’accueille en compagnie de la comtesse de Salisbury et d’Alice Chancer. Chacune a perdu une dame de compagnie. Parties porter des messages, elles ne sont jamais revenues…
L’intrigue s’inscrit dans une belle série de relations pseudo-amicales, dictées par des ambitions entre des hommes arrivés au pouvoir par leur naissance. Ces relations corrompues par les haines cuites et recuites, les rejets d’alliance, les appétits territoriaux, la volonté de puissance, sont sources intarissables de complots, de trahisons. Ainsi, Suffolk et Salisbury, de vieux “amis”, haïssent Philippe le Bon, le duc de Bourgogne. Ils s’opposent à la politique d’alliance que le Régent de France, le duc de Bedford, frère du roi Henri V, mène auprès des Bourguignons.
Pour convaincre Holmes de rentrer dans ce nid de vipères et enquêter sur ces disparitions, le comte de Suffolk lui offre une loupe, instrument dont Holmes a lu la description dans un texte de Roger Bacon et fabriqué dans les ateliers de ce dernier en Hollande.
Jean d’Aillon complète peu à peu les parallèles avec Sherlock, celui-ci utilisant volontiers pour la recherche des minuscules indices une loupe. On retrouve également Grégoire Lestrade qui n’est plus inspecteur mais porte le titre de commissaire. Il est décrit comme ayant un esprit lourd, capable de s’engager dans de mauvais jugements.
Le romancier met en scène la petite fille du poète Geoffrey Chaucer, l’auteur des Contes de Canterbury, une série de vingt-quatre histoires publiées au XIVe siècle. Il s’inspire de la trame de certains de ces récits pour introduire des éléments d’intrigue.
Le romancier propose des termes qui fleurent bon l’époque tout en étant parfaitement compréhensible aujourd’hui. Pour ceux qui ne sont plus employés depuis longtemps ou dont le sens a bien dérivé, il livre l’explication en bas de page. Il fait également de même pour les lieux que fréquentent, que visitent, Holmes et Watson, s’attachant à donner les appellations de l’époque sur les rues, les palais…
Il décrit aussi la triste réalité, la pauvreté, la faim, le froid dont souffrent les Parisiens. Il fait remarquer par Holmes que : “Comme en Angleterre, les abbayes utilisaient tous les moyens pour s’enrichir.”
Ce septième volet des Chroniques d’Edward Holmes et Gower Watson se révèle passionnant pour la richesse de la documentation, l’éclairage historique et social de cette époque et par son intrigue fort subtile.
serge perraud
Jean d’Aillon, Les chroniques d’Edward Holmes et Gower Watson — La maison de l’abbaye, Éditions 10/18, coll. “Grands détectives” n° 5504, Janvier 2020, 264 p. – 7,50 €.