Stéphane Rusinek, La Patiente de 17 heures

Une Patiente qui impatiente

Ce livre est pré­senté par son édi­teur comme le pre­mier roman de l’auteur, lequel met tou­te­fois le lec­teur en garde (p. 9, dans l’«avertissement ») que « ce récit ‘fic­tion­na­lise’ des faits qui se sont réel­le­ment dérou­lés dans son cabi­net de psy. »
Il entre­prend donc de rela­ter en inté­gra­lité son rendez-vous avec une patiente qu’il ne connaît pas, qui a pris rendez-vous avec lui à 17 heures son der­nier jour de tra­vail avant les congés – rendez-vous qu’elle a obtenu de manière for­tuite (ou pas ?), car la patiente pré­vue a annulé « un peu moins d’un quart d’heure avant [son] appel, parce que sa voi­ture a été van­da­li­sée » (p. 16).

À
l’encontre des façons de pro­cé­der habi­tuelles du psy, la patiente exige de lui racon­ter d’une traite son his­toire sans être inter­rom­pue, ni par des ques­tions, ni par des remarques quelles qu’elles soient, pré­ci­sant à toutes fins utiles : « Ne vous inquié­tez pas. Je n’ai tué per­sonne, je n’ai com­mis aucun délit, je n’ai rien fait de mal. […] Mais j’ai vrai­ment besoin que vous com­pre­niez com­ment je suis deve­nue prête à tout pour l’homme que j’aime, et ce n’est pas facile pour moi à expli­quer, parce que je suis les­bienne. » (p.25)

Et le récit com­mence, depuis l’enfance mal­heu­reuse avec la mort de la mère, le père devenu alcoo­lique et violent, la fra­trie à la dérive, la ren­contre avec un cama­rade de classe pro­vi­den­tiel qui la prend sous son aile, la fugue… Pen­dant ce temps, le psy inter­dit de par­ler pense à des choses et d’autres, essaie vague­ment de clas­ser et d’analyser sa patiente, n’y par­vient guère (ben oui, il est spé­cia­lisé dans les thé­ra­pies com­por­te­men­tales et cog­ni­tives, lui), échange en douce des SMS avec sa fille.
Et en paral­lèle, quelques cha­pitres pro­posent des extraits de ses inter­ven­tions devant un public sur son sujet de pré­di­lec­tion, col­loques aux­quels il se plie même s’il avoue pré­fé­rer « rigo­ler un bon coup avec les patients ». Ces cha­pitres inter­ca­lés, que l’on devine à visée péda­go­gique et qui finissent par ser­vir l’intrigue, s’avèrent hélas assez plats, lon­guets et ennuyeux car les exemples pris et les tech­niques ou pré­ceptes mises en œuvre pour soi­gner semblent somme toute plu­tôt banals, même pour le qui­dam non averti : « la règle est simple : quand on fait quelque chose et qu’on y gagne, on a ten­dance à le refaire, quand on y perd, on le refait pas. » (p.  9) Voire limites : « Quand on me dit ‘j’ai perdu ma mère’, j’aime pou­voir répondre  ‘et vous l’avez retrou­vée ?’ » (p.51). Des ten­ta­tives d’être drôle, l’auteur en fait d’autres : « Est-ce qu’elle adhère à l’idée ? Et com­ment ! Elle adhère comme Sader ça adhère. » Humour de psy sans doute…

Le livre se lit rapi­de­ment et sans trop de déplai­sir, dans l’ensemble, mais on en vient à bout, lec­teur curieux de voir où tout ça va le mener, avec une ques­tion : oui, bon, et alors ? Disons pour conclure que la lec­ture n’est pas désa­gréable, hor­mis quelques pas­sages irri­tants comme ceux cités ci-dessus, mais sans grand inté­rêt au bout du compte, mal­gré les retour­ne­ments de situa­tion finaux.

agathe de lastyns

Sté­phane Rusi­nek, La Patiente de 17 heures, Thierry Mar­chaisse, jan­vier 2020, 200 p. – 18,50 €.

1 Comment

Filed under On jette !, Romans

One Response to Stéphane Rusinek, La Patiente de 17 heures

  1. Jules

    Bon­jour,
    Je trouve votre cri­tique très sévère concer­nant ce livre. Certes ce n’est pas un pro­chain prix Gon­court, mais il se lit avec faci­lité, per­met de pas­ser un bon moment et de com­prendre ce qu’est le tra­vail d’un psy. Mais, étant donné les pas­sages que vous cri­ti­quez, il est clair que si un psy n’est pas psy­cha­na­lyste, alors ce n’est pas un vrai psy à vos yeux et que ce qu’il raconte est fade. Oui, il n’y a pas de grandes inter­pré­ta­tions freu­diennes sur l’enfance de l’héroïne, il n’y a pas de tour­ments de l’inconscient ou d’oedipe refoulé, et les exemples sont des exemples de gens simples, mais pour une fois qu’un livre par­lant de psy ne se base pas sur ces pon­cifs d’un autre siècle, je pense qu’au contraire il fau­drait le mettre en avant. Pour moi, l’histoire est très inté­res­sante, le style est très agréable et l’auteur a pour lui de faire tenir un huis-clos d’une heure dans un livre en le ren­dant poi­gnant. Il serait pré­fé­rable de le décon­seiller à toute per­sonne ne vou­lant pas lire autre chose que de la psy­cha­na­lyse et de le conseiller à toute per­sonne ouverte, qui a envie de lire quelque chose de dif­fé­rent, parce que ce livre est dif­fé­rent de ce que l’on peut lire ailleurs, et les aspects péda­go­giques, ne vous en déplaise, sont à mon goût très bien ame­nés et par­ti­cipe à la nar­ra­tion. En plus, l’air de rien, citer une phrase hors de son contexte pour la cri­ti­quer n’est pas très classe, sur­tout quand on a la place d’autorité. Quand l’auteur nous livre une pen­sée comme « Est-ce qu’elle adhère à l’idée ? Et com­ment ! Elle adhère comme Sader ça adhère. », si vous ne pré­ci­sez pas que le per­son­nage est dans une situa­tion de stress énorme et qu’il montre ainsi que ses pen­sées ne sont plus cohé­rentes et qu’il essaie de se concen­trer, etc… alors oui, cela paraît être un humour plu­tôt débile, mais avec ce qu’il y a autour, on com­prend, qu’en fait, ce n’est pas du tout un trait d’humour, qu’aucun lec­teur n’a même à sou­rire à ce moment, mais une ten­ta­tive que fait le per­son­nage pour que ses idées res­tent claires et concen­trées sur la situa­tion qu’il vit. Alors, repro­cher des mau­vais traits d’humour quand il ne s’agit pas d’humour n’est pas très beau joueur. J’ai eu per­son­nel­le­ment affaire à beau­coup de psy­cha­na­lystes qui vous auraient sans doute bien plus inté­res­sés et ne vous auraient pas irri­tée, mais qui auraient bien fait de pen­ser plus simplement.

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