Sandrine Collette, Et toujours les Forêts

Une for­mi­dable conteuse 

Après la soli­tude en une cave dans Des nœuds d’acier, celles des grands espaces dans Six four­mis blanches ou Il reste la pous­sière, San­drine Col­lette frappe fort et ima­gine la fin du monde. Elle ne dit rien sur les causes, elle donne sim­ple­ment les résul­tats visibles, les consé­quences du cata­clysme. Tout a brûlé, tout est toxique.
Le récit s’attache aux pas du héros, expose sa vie depuis sa nais­sance non dési­rée, son par­cours, son évo­lu­tion. L’auteure décrit un monde rural où cha­cun est en équi­libre, se res­pecte. Elle décrit une Terre dévas­tée où tout est mort. Elle raconte le che­min pour un retour vers les Forêts, vers l’origine, vers la nature, vers la vie. Elle relate ce qui motive Coren­tin, ce qui le meut et ce qui le désespère.

Marie, enfer­mée depuis six mois par Alice et Augus­tine, les grands-mères de Jéré­mie et Marc, a été relâ­chée une nuit d’encre avec son gros ventre, avec les dix à quinze kilos de l’enfant à naître. Elle a épousé Jéré­mie, mais c’est Marc le père. Marie ne sait pas pour­quoi elle n’a pas aban­donné son enfant à la nais­sance. Coren­tin va gran­dir bal­lotté de mai­son en mai­son jusqu’au jour où, quand il a cinq ans, elle le laisse, une enve­loppe à la main, vers la mai­son d’Augustine.
Il découvre peu à peu le vil­lage, oubliant au fil du temps son cha­grin. Il met du temps à com­prendre, lui qui n’a jamais eu d’amour, qu’Augustine l’aime pro­fon­dé­ment. À dix-huit ans, il part étu­dier dans la Grande Ville. Il se fait des amis. Ils sont douze qui se retrouvent au fil des années, huit ans qu’ils se côtoient.

Avec eux, chaque fin de semaine, il des­cend dans les pro­fon­deurs de la Grande Ville pour faire la fête, pour boire. Il fait de plus en plus chaud, de plus en plus sec. Et ils entendent un gron­de­ment, res­sentent un trem­ble­ment de terre. Ceux qui se pré­ci­pitent dehors sont immé­dia­te­ment grillés. Les six sur­vi­vants attendent, se terrent et n’osent sor­tir que lorsqu’il n’y a plus rien à boire, à man­ger. Tout est dévasté. Tous s’égaillent à la recherche de ceux qu’ils aiment.
Coren­tin reste seul. Que peut-il faire d’autre que retour­ner aux Forêts ? Il part, à pied, dans la direc­tion pour retrou­ver la vie… retrou­ver Augustine…

La roman­cière dit la soli­tude, les dif­fi­cul­tés de sur­vivre, d’exister. Com­ment res­ter dans un monde devenu déser­tique, résis­ter à des jours deve­nus sau­vages quand les quelques sur­vi­vants, plu­tôt que s’entraider, se battent pour quelques hardes, quelques miettes ? Com­ment espé­rer dans l’avenir quand plus rien ne pousse, quand les pro­vi­sions dis­po­nibles seront épui­sées, les conserves seront périmes, imman­geables, quand elles vien­dront à man­quer ?
Avec une belle luci­dité, elle explore toutes les pos­si­bi­li­tés résul­tant d’une telle situa­tion, les consé­quences induites d’un tel désastre, le silence, la soli­tude, les déchets, les débris, la puan­teur des pois­sons en décom­po­si­tion. Les corps des hommes, des ani­maux ont été grillés, ils ne se décom­posent donc pas. Elle décrit la marche dif­fi­cile parmi les décombres, la fatigue, l’épuisement et cette étin­celle de volonté qui pousse à aller plus loin car l’espoir per­dure, cela sera mieux…

S. Col­lette évoque quelques rares ren­contres avec des res­ca­pés qui sont deve­nus des pré­da­teurs, des vic­times de la sau­va­ge­rie, de la bar­ba­rie qui revient au pre­mier plan. C’est aussi un chiot pro­tégé par le corps de sa mère mais qui a été aveu­glé. Et puis le retour, et la recons­truc­tion dif­fi­cile entre un homme et deux femmes, entre Coren­tin et Mathilde, la fillette de deux ans son aînée avec qui il jouait, deve­nue une femme.
Faut-il rele­ver une huma­nité quand : “Les hommes étaient intrin­sè­que­ment des meur­triers. Ils puaient la mort. Aussi stu­pides que les cel­lules can­cé­reuses détrui­sant les corps qui les abritent, jusqu’à cla­quer avec eux. Tuer ou être tué.” L’auteure inter­pelle sur la nature humaine sur ces exac­tions qui se per­pé­tuent même quand il n’y a plus rien. L’humain ne sait-il que tuer, piller, mas­sa­crer, torturer ?

Avec une écri­ture tonique, des phrases courtes assé­nées comme des coups, Et tou­jours les Forêts est un récit poi­gnant, mon­trant l’absurdité de la nature humaine, le bon et le mau­vais, le pire et le meilleur et tou­jours l’espoir, cet espoir qui fait avan­cer, qui fait croire que c’est mieux ailleurs, que cela ira mieux demain…
Quel que soit le registre lit­té­raire où l’on peut pla­cer les romans de San­drine Col­lette, celle-ci étonne, sur­prend, désta­bi­lise, sen­si­bi­lise, effraie et oblige à une réflexion sur soi, sur les autres. Une fois encore SANDRINE COLLETTE (Elle mérite bien les majus­cules !) livre un roman dif­fi­ci­le­ment oubliable.

serge per­raud

San­drine Col­lette, Et tou­jours les Forêts, JC Lat­tès, jan­vier 2020, 336 p. – 20,00 €.

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