L’incontrôlable : entretien avec Elisabeth Morcellet (Ne jamais en finir)

Traver­sant les temps et les espaces, Eli­sa­beth Mor­cel­let nous mâche le tra­vail de recons­truc­tion afin que la femme ne soit plus rivée à une situa­tion à l’avantage du seul mâle et de ses pré­bendes. Dans son tra­vail inces­sant de décons­truc­tion et de recons­truc­tion, l’auteure et artiste fait preuve d’une ala­crité constante.
Son pre­mier roman est une sur­prise dans les dépo­tages qu’il ins­taure. Au plus près de la parole et en une approche minu­tieuse mais qui garde ce qu’il faut de sau­vage ou d’ébouriffé, il ins­truit une autre mélo­die de la langue. C’est un moyen d’entretenir avec le corps, la sexua­lité et leur his­toire une période qui dépasse le temps tel qu’il est et ses appa­rences. Chaque frag­ment de ce roman de quête et de recon­quête ins­taure une aven­ture nou­velle pour témoi­gner de la réa­lité humaine, mais de manière trans­cen­dée dans un mariage du ciel et de la terre. Il ne lui manque ni l’eau ni le feu au sein d’une dynas­tie à valeur d’emblème.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La faim, l’envie d’aller aux toi­lettes, le désir de connaître le temps, et sur­tout un pro­jet en tête.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils ont tenu la route et m’ont gui­dée et rete­nue jusqu’ici.

A quoi avez-vous renoncé ?
À être aimée et appré­ciée de tous.

D’où venez-vous ?
D’un vil­lage célèbre de 300 habi­tants : Che­non­ceaux en Indre et Loire.

Qu’avez-vous reçu en “dot” ?
Une his­toire de tra­vail, d’argent et de temps qui tue tout.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Quo­ti­dien incon­tour­nable : l’agenda du matin résu­mant le jour d’hier.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
La bou­geotte, la par­lotte, la vita­lité, la croyance, l’amour de la vie : en un déra­page contrôlé d’une pos­ture d’incontrôlable juvé­ni­lité à l’épreuve du temps !

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Le sphinx de pierre, en contre-jour, à la sor­tie de l’allée d’arbres menant au châ­teau de Che­non­ceau dans la lumière éblouis­sante… et aussi celle en action, de ma DS bleue à pédale, je suis dedans et je roule, qui s’enchaîne à l’intérieur d’une voi­ture d’adulte, conduite très vite par mon oncle, je suis assise à l’arrière avec ma cou­sine, je me dis, là je pour­rais mou­rir, moi seule pour­rait dis­pa­raître, ne plus exis­ter, que les autres et moi, vrai­ment c’est ça la dif­fé­rence : avec la mort. Mon corps. Celui de ma cou­sine. Bien avant 8 ans.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Caro­line à la mer”, et “Lili”, deux illus­trés des années soixante que j’allais cher­cher à pied à 4 ans chez la mar­chande de jour­naux. Après, la révé­la­tion avec Proust à 14 ans, à Villerfranche-sur-Mer, en été, après la plage dans l’ombre fraîche de ma chambre..

Quelles musiques écoutez-vous ?
De la musique ancienne et baroque. Du rock, du blues, de la pop, de la musique répétitive.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Autre­fois Barthes « Frag­ment d’un dis­cours amou­reux ». Je relis peu. Proust.
Je suis bon public avec une sen­si­ble­rie de midi­nette. Pré­pa­rez les mouchoirs !

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une gamine ou une petite vieille selon les yeux : allu­més ou éteints.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À Lady Flora Sal­toun, der­nière des­cen­dante du clan Fra­ser, 21ème, mais cela ne sau­rait tarder.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Mexico (Don Car­los et les indiens Yaquis) grâce à l’œuvre de Car­los Castaneda.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Mar­gue­rite Duras, Vir­gi­nia Wolf, Joyce, Julien Gracq, Roland Barthes, Kier­ke­gaard, Robbe-Grillet, Chré­tien de Troie et tous les poètes du Moyen Age. Les groupes d’artistes : Fluxus, sur­réa­liste, situa­tion­niste, art cor­po­rel… avec Gina Pane, Sophie Cale, Cindy Sherman…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un tour du monde de 3 mois pour deux avec escales !

Que défendez-vous ?
Le vivant, le bon­heur, l’amour, l’art de la vie, la pla­nète, les ani­maux, les végé­taux, les pierres… la paix, l’égalité, la dif­fé­rence : toute chose posi­tive : et le droit au sui­cide et à l’euthanasie !

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Un silence réflé­chis­sant. Un trouble cer­tain. Une vérité poten­tielle. Le gouffre.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Tout est mémoire, recons­truc­tion, décons­truc­tion, subli­ma­tion même inver­sée. L’affect sans mémoire est un organe opé­ra­teur sans consé­quence pro­fonde hors du plai­sir ou déplai­sir ins­tan­tané qui lui peut encore tou­jours être reformulé.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
La spé­ci­fi­cité du genre (mono­po­li­sant tra­vail, œuvre, auteur, inten­tion, corps, rela­tion, abus…), quand il s’agit d’un inter­lo­cu­teur femme condui­sant à une case “pri­son”. Je suis ter­rienne à priori. Mais j’en doute aussi.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­lisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 19 jan­vier 2020

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