Pierre Guyotat, Divers — textes, interventions, entretiens, 1984–2019

Indices pen­sables

Ce livre est une somme majeure à qui veut com­prendre tout ce que l’oeuvre de Guyo­tat engage.  Si ce cor­pus ne peut certes se sub­sti­tuer à elle, il per­met entre autres d’établir la dif­fé­rence entre la lit­té­ra­ture de l’auteur d’Eden Eden Eden et « le reste » (qui n’est pas la « lit­té­ra­ture », contrai­re­ment à ce que répète la cita­tion de Ver­laine), entre un écri­vain digne de ce nom et de simples rédac­teurs. 
Et cette dif­fé­rence  est plus déci­sive que celle qui dis­tingue poé­sie et prose, poète ou pro­sa­teur, dis­tinc­tion à laquelle sont sour­cilleu­se­ment atta­chés les poètes défensifs.

Ce n’est pas le cas de Guyo­tat. Il  avoue sans fausse modes­tie : « Je me consi­dère comme un poète ayant un don ». Moins par  bien­veillance à l’égard de sa propre œuvre qu’à l’idée de sa concep­tion de la poé­sie. Il y est entré comme en reli­gion. Mais d’ajouter “Ce n’était pas très beau comme expres­sion, sur­tout de la part d’adultes, ce n’était pas très malin, mais c’est vrai que j’ai pu vivre la poé­sie de cette façon-là. »
Faut-il rap­pe­ler qu’il existe dans l’oeuvre de  l“auteur une double face  ? Des textes dont la rhé­to­rique de l’oralité s’offre dans une explo­sion lan­ga­gière défiant toutes les conven­tions et des textes en langue nor­ma­tive qui répondent à des gram­maire, syn­taxe et ortho­graphe plus cou­rantes. De ces deux cas, cet immense cor­pus par Guyo­tat lui-même  (ce qui vaut bien que tous les cor­pus des savants)  donne des clés.

Tout est pas­sion­nant de bout en bout. Les frag­ments, inter­views, articles de cir­cons­tances balisent les étapes impor­tantes de l’oeuvre et l’élaboration moins d’une auto­bio­gra­phie qu’une auto-hagiographie. Celui qui dans cer­tains de ses livres (For­ma­tion) par exemple) écrit sa propre vie en “Saint” déploie ainsi un ensemble dis­con­tinu d’éléments dis­pa­rates d’une oeuvre scan­da­leuse à plus d’un titre et  écrite par un écri­vain génial et une sorte d’enfant ter­ro­risé et débordé par un désir qui lui fait perdre ses moyens, rend opaque son expé­rience du monde et désar­ti­cule sa phrase.
Tout l’univers grouillant de l’écrivain fait retour avec l’explication sur le désir des femmes, dont les sexes et les seins appa­raissent et dis­pa­raissent, obsé­dants réap­pa­raissent ça et là. Mais pas seule­ment : il y a, à tout pro­pos, une sorte de mise à nu de la méca­nique de l’oeuvre. Les textes illus­trent com­bien le monde semble appa­raître à l’auteur à la fois comme plat, sans relief, et comme désor­ga­nisé, chaotique.

Néan­moins, celui qui parle tant de lui ne se serait pas aven­turé à évo­quer la vie de sa mère — même s’il donne quelques clés sur sa pré­sence non telle quelle mais dans des lieux de fic­tion. Et jusque dans ses inter­views, Guyo­tat fait preuve d’un style dont le tra­vail est évident. Il est certes au ser­vice de la pré­ci­sion didac­tique mais sur­tout afin d’insister sur un désir de par­tage de la sub­mer­sion et de la sub­ver­sion.
Elles ne le quittent plus. Et la langue seule tente de leur don­ner du sens. Comme elle doit per­fo­rer l’habitude la honte et de la souf­france. L’auteur évoque com­bien rien n’est aisé dans l’acte. Qui devrait être de plai­sir mais qu’il faut cacher parce que la créa­tion ne peut avoir lieu que dans un recueillement.

Avec — et pour reprendre un titre le l’auteur - ces Arrière-fonds se des­sinent les fran­chis­se­ments pour dres­ser la vie contre la mort. C’est un peu d’eau vive pour ne pas se détruire.
Un peu d’eau de vie contre les douleurs.

jean-paul gavard-perret

Pierre Guyo­tat, Divers — textes, inter­ven­tions, entre­tiens, 1984–2019, Les Belles Lettres, Paris, 2019, 502 p. — 29,00 €.

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