Pierre Senges, Projectiles au sens propre

The Big­gest Splash

Pierre Sen­ges pour­suit ses petits trai­tés d’éducation ludique. C’est sou­vent de la tarte. Et aujourd’hui plus qu’hier, et bien moins sans doute que demain. Et ce, à une main ou deux mains. Sont réunis dans ce texte un maxi­mum d’entartreurs. Issus du cinéma muet bur­lesque (où ils furent flo­rès) et d’ailleurs.
Il y a Oli­ver Hardy spé­cia­liste de l’épaulé jeté face à Stan Lau­rel. Les deux res­tent  des record­men d’entartrages et non sans le ren­fort d’une plé­thore d’« assi­gna­teurs de signi­fi­ca­tions » qui ne sont pas for­cé­ment de purs  her­mé­neutes mais de sacrés far­ceurs farcisseurs.

Ils firent en sorte que la tarte assi­gnée ait un sens. Mais Pierre Sen­gès les accom­pagne d’Angelus Sile­sius — une bonne pâte et crème — mais qu’on atten­dait pas for­cé­ment en un tel lieu lui, qui  en “Pèle­rin ché­ru­bi­nique spé­cu­la­tif plus que spé­cu­la­teur, fut sou­tenu par une cohorte de moniales et de pères de l’Eglise et de son Saint Siège.
Se suc­cèdent des consi­dé­ra­tions ren­ver­santes, des galé­jades scrip­tu­rales sur l’évocation de pla­car­dages qui demandent une tech­nique ache­vée. L’auteur le sou­ligne à pro­pos :  « on ne le dira jamais assez : rece­voir une tarte en pleine figure demande de savoir viser ». Et de rap­pe­ler que, s’il des tartes far­cesques, il en est  de plus sophis­ti­quées,  “com­pré­hen­sibles seule­ment d’un point de vue shintoïste ».

La lévi­ta­tion en tulles et bulles d’air de la crème Chan­tilly tra­verse cette revue de détails déli­cieuse et qui ne manque ni de sucre ni de sel. Elle fait pas­ser de Nico­las Pous­sin à Eisen­stein. Les figu­ra­tions sont tirées autant de chez Rodolphe Töpf­fer (inven­teur de la BD.) que de chez John Ford et bien sûr Cha­plin et Kea­ton.
Mar­lene Die­trich, les frères Marx, Wit­teng­stein et Hei­deg­ger et bien sûr Henri Berg­son (démons­tra­teur de la méca­nique comique pla­quée sur du vivant) sont de la par­tie. C’est un régal. Et Le célèbre Noël Godin, entar­teur sur­réa­liste belge, est en bonne compagnie.

Diffi­cile de ren­voyer un tel pro­jec­tile à l’émissaire. D’autant qu’un tel objet ne tombe jamais sur la figure pour rien. Sa “sidé­ra­tion par­ta­gée » devient une sorte d’art sur lequel Pierre Sen­gès fait son beurre et ses sauts de cabri sty­lis­tiques. Il appelle encore pour sa démons­tra­tion d’autres inat­ten­dus patis­siers. Par exemple Rous­seau, Søren Kier­ke­gaard, Kiki de Mont­par­nasse et Deleuze lorsqu’il se trans­forme en Gilles ser­vant d’alibi du délit qui fait d’un visage, comme l’écrit ce der­nier, un “Sys­tème mur blanc / trous noirs ».
Et il n’est pas facile d’échapper à un tel maquillage.

jean-paul gavard-perret

Pierre Sen­gès, Pro­jec­tiles au sens propre, Ver­ti­cales, 2020, 168 p. — 16,50 €.

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