Alain Veinstein, A n’en plus finir

Ennui solip­siste

Les poèmes de cet ensemble se sont impo­sés à la suite d’événements mais demeurent néan­moins dans une sorte de décon­tex­tua­li­sa­tion comme si le temps ne lais­sait pas d’autre choix que de pla­cer la poé­sie en une sorte de hors champ. Immergé long­temps du côté d’un magis­ter média­tique et dirigé par le tru­che­ment du tra­vail des autres à tra­vers les lec­tures qu’il accu­mu­lées, l’auteur semble avoir du mal avec non seule­ment l’appréhension du réel mais l’exploration en pro­fon­deur du trouble qu’il peut géné­rer.
Peut-être parce que le vieillis­se­ment n’est pas abordé fron­ta­le­ment, le livre manque de réelle per­son­na­lité d’écriture. L’auteur prend la pause en se pré­ten­dant une sorte de pauvre errant. Il crée un sup­pléant à la faillite de ce que serait sa propre expé­rience. En fait, rien de pro­bant ne trans­pa­raît. Si bien que l’efficience et la légi­ti­mité d’écriture paraissent bien absconses.

Ce qu’éprouve l’auteur comme sa rela­tion avec le monde manque d’intensité et d’importance. Tout res­semble à une série d’intermèdes en défi­cit de matière poé­tique consé­quente. Ce qui aurait pu deve­nir une « Orda­lie » reste un pro­jet mal défini : “J’ai sou­vent pensé que le moindre récit / était une perte en vie humaine. / Jusqu’au jour où j’y ai vu un moyen /de lut­ter pour ma sur­vie. // Peut-être était-il déjà trop tard. / On ne cherche pas indé­fi­ni­ment sa nour­ri­ture /sur des terres qui ne cessent de s’amoindrir.“
A par­tir de ce prin­cipe, l’auteur semble ne plus avoir grand chose à dire et à montrer.

Les sen­sa­tions vécues dans l’expérience d’une séden­ta­rité font de ces textes un ensemble super­fé­ta­toire. L’expérience intime n’est qu’un solip­sisme où pas grand chose n’arrive pour créer chez le lec­teur une réelle attente. Il reste face à ce livre en état autant d’expectative que d’un cer­tain ennui. Rien ne pulse vrai­ment, car l’écriture ni ne ques­tionne, ni ne met en doute des cer­ti­tudes.
Tout reste de l’ordre du com­mun entre une sorte d’impuissance et de manque d’ambition poé­tique. Se res­sent l’acceptation en un cer­tain her­mé­tisme qui n’est en rien l’obstination d’affronter l’insensé et son énigme.

Demeure l’expérience de la défaillance qui n’apporte pas grand chose. Elle n’est pour­tant pas consub­stan­tielle à l’écriture de Vein­stein. Il a écrit bien mieux. Car si Mal­larmé défi­nis­sait la poé­sie comme une « parole majeure »., ici elle manque de pro­gres­sion vers une forme digne de ce nom.
De l’auteur s’attendent une relance et une pro­messe plus consé­quentes du crépuscule.

jean-paul gavard-perret

Alain Vein­stein, A n’en plus finir, Seuil, 2019, 240 p. — 18, 00 €.

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Filed under On jette !, Poésie

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