Anne Serre se refuse de se laisser complètement aller dans sa Grande Tiqueté comme si une étiquette la retenait encore. D’un côté, elle ne peut s’empêcher parfois de vouloir faire de la morale en désirant à tout prix réinsuffler du sens là où elle espère le dérouter. D’un autre côté, sa façon de déhancher la langue tourne souvent au même processus d’assonnance et de répétition.
Bref, elle n’atteint pas la maîtrise dans l’exercice “d’imbécilité” tel que le pratique Novarina.
Si le Savoyard se laisse emporter par le son, Anne Serre reste dans la maîtrise. La mécanique de dérèglement est certes bien huilée mais ne se fait pas oublier. Au contraire même : la créatrice insiste et souligne l’effet de ses conjugaisons dévergondées (“nous perdûmes), les glissements de vocabulaire (“franglois, sirois, pitois”).
Bref cette littérature s’exhibe et c’est ce qui gêne le plus.
Anne Serre demeure dans l’ornemental ravaudage tandis que, de Rabelais à Guyotat, d’autres ont fait de la langue devenue foraine une irréversible métamorphose. L’inceste langagier se limite ici à une expérience moins traumatique qu’innocemment ludique. Les portes qui pourraient s’ouvrir ne restent qu’entrouvertes.
Ce qui ce cache derrière demeure de fait sans grande surprise sinon le plaisir d’un effet de jeu. D’où l’aspect déceptif (en partie seulement car il existe un réel plaisir de lecture) là où tant était espéré.
Le lecteur se voulait la victime volontaire de ce que l’auteure pouvait offrir sur un plateau.Il n’aura tout compte fait que des amuse-gueules ou des trompe-la-faim.
jean-paul gavard-perret
Anne Serre, Grande Tiqueté, Champ Vallon, Seyssel, 2020, 96 p. — 16,00 €.