Louis Calaferte, Partage des vivants/ Un lieu, une mémoire, n° 0, Louis Calaferte

Louis Cala­ferte, L’homme révolté

On a tra­vesti sou­vent Cala­ferte en his­trion. Il y a par­fois prêté le flanc, jouant quelque peu devant les imbé­ciles de sa tignasse et pous­sant plus fort un tem­pé­ra­ment déjà bien trempé. Qu’on ne s’y trompe pas cepen­dant. Dans ses car­nets (15 à ce jour), dans ses kaléi­do­scopes d’anecdotes, d’aphorismes, de poèmes et de mots soli­taires jetés sur le papier (« Du sang vio­let de l’améthyste»), dans son théâtre et ses fic­tions, ce qu’on prend pour un joyeux bor­del cache un écri­vain qui trouva le sens à sa vie dans l’écriture.
Il ne faut pas réduire l’auteur à un écri­vain auto­di­dacte liber­taire explo­ra­teur d’un monde de misère ignoré des mis­sion­naires comme des anthro­po­logues. Pas plus qu’il ne faut col­ler sur cette pre­mière image la seconde : celle d’un auteur éro­tique, sul­fu­reux voire por­no­gra­phique et amo­ral. Les récits de Par­tage des vivants le prouvent. Dans ces récits le monde est baveux, pois­seux. Non comme du sirop délec­table : plu­tôt comme de l’huile de vidange usagée.

L’ auteur sait voler un peu de vérité humaine en s’approchant des femmes et de la rue. Seules les pre­mières dégagent les mâles de leur « peine d’en bas », de leur condi­tion fétide. Grâce à elles, ils émergent aussi vivants que lourds de détresse et de joie. Et le roman­cier est dans la lignée de ceux qui connaissent ce dont ils parlent. Il puise son ima­gi­na­tion au fond des verres de boui-boui de ban­lieue. Dans leurs arrière-cours, en été, y gémissent des couples équi­voques. Ils viennent par­ta­ger quelques menus espoirs et de petits bon­heurs.
Moins hir­sute qu’on le dit, la fic­tion chez Cala­ferte s’éloigne du conser­va­tisme lit­té­raire comme d’un moder­nisme à tout crin. L’auteur consi­dère la théo­rie lit­té­raire comme il voit le temps : « un chif­fon troué ». Convaincu que l’exploitation héré­di­taire des nais­sances est sans fon­de­ments mais que tout fonc­tionne selon un sys­tème de recon­nais­sance et d’inaliénabilité des castes, l’auteur en appelle moins à la révolte qu’à la soli­tude. Elle per­met de s’éloigner — sans retour de l’élastique — des ser­vi­tudes des groupes.

Certes Cala­ferte ne se fait pas d’illusion : le groupe a tou­jours rai­son de l’individu mais seule l’aventure inté­rieure sauve en dépit de Dieu qui, dit-il, « refuse à sa créa­ture la prise de conscience ». C’est pour­quoi le pre­mier devint le ser­pent mythique de la genèse afin de lut­ter, non contre l’anéantissement, mais l’effritement. L’auteur du Parage des vivants a su cap­ter jusqu’aux « gre­lot­te­ments des rafales de pluie sur les vitres » pour mon­trer que le décor ne fait pas le moine et que, sous sa faible lumière de ban­lieue, la méca­nique du vivant lutte contre le peu qu’elle est.

jean-paul gavard-perret

Louis Cala­ferte, Par­tage des vivants , coll In-Stance, Edi­tions Tara­buste, 2012, Saint Benoit du Sault., 65 p. — 12,00 €.

« Un lieu, une mémoire, n° 0 », Louis Cala­ferte, Edi­tions Tara­bute, 2012, 126 p. — 10,00 €

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