Abîmes des surfaces : Bettina David-Fauchier
Plutôt que la saisie d’une seule image, Bettina David-Fauchier est à la recherche d’éléments juxtaposés. Ils créent – selon une forme d’art conceptuel – une nouvelle identité de l’image. Elle ne parle que par son propre langage, par une déconstruction formelle. Tout est conçu selon des architectures improbables, des géométries colorées que souvent l’artiste traite en noir et blanc afin de créer un nouvel ordonnancement. Le travail permet une sublimation ou plutôt un dépassement des modèles concrets ou abstraits.
Le paysage urbain comme l’architecture du livre, bref plusieurs types d’espaces, sont réinterprétés par le regard de la plasticienne. Celui du regardeur perd ses repères dans des perspectives improbables. A partir de la photographie, Bettina David-Fauchier découpe et assemble selon un principe, non de simple surface, mais de profondeur. Surgit en conséquence à la fois une théâtralité des formes et une chorégraphie abstraite. L’objectif cherché n’est plus l’identification d’un sujet. Et si certains éléments peuvent être identifiables, cela reste secondaire.
Entre l’engagement et l’errance surgit moins une « réalité » seconde qu’un processus de recomposition. Tout passe par montage : il annule chaque élément au profit d’un ensemble. Points de fuite et pans s’y démultiplient dans de nouveaux types d’anneaux de Moebius aux épaisseurs variables jusqu’à atteindre une sorte d’effacement ou de déperdition des plans et des couleurs.
L’œuvre devient une sorte d’architecture utopique et improbable par laquelle l’artiste métamorphose les illusions de réalité et met à jour cette frontière où naît l’œuvre d’art dans un renouvellement de son langage. Ce travail ne cherche plus à donner la contemplation passive d’un sujet ou d’un motif traité mais éclaire sur la perception du monde. Le traitement de l’illusion codé par la photographie, la peinture, le dessin, l’architecture, est remplacé par le traitement de leurs espaces propres.
L’oeuvre permet de redéfinir bien des limites. Surgissent de fragiles incisions dans la lumière, là où photographie est outrepassée en allant on ne sait où dans l’espace. Ce qui unit divise : l’inverse est vrai aussi. Le tout crée un monde d’aube fait de lignes et de plans qui courbent l’obscur, transportent ou infusent “du” signe avec une certaine idée de la transparence. Une averse de lumière emporte les verticales coupées. Se pénètre une sorte d’au-delà, ici-même, ici bas, dans un “cadre” où lignes et volumes créent des traces énigmatiques.
La créatrice va chercher dans l’ombre et par les dagues de lumière un nouvel ordonnancement selon des lignes et des plans qui se croisent et se recroisent. L’espace devient quasi-virtuel par ses formes, ses références géométriques. Elles impliquent l’ensemble des méthodes pour résoudre — par exemple par un pliage — les problèmes à trois dimensions de la géométrie descriptive de l’espace.
Bettina David-Fauchier interroge la surface et le plan, leur pouvoir, leurs appels du fond. Il faut s’abîmer en un transfert du “rien” au “lieu”. Comme si la réalité ne se composait que de cette pénétration, de cette échappée. Soudain la lumière allonge le cou dans des fourrures de noir. L’artiste cherche dans ce jeu un monde caché, étrange, géométrique. Elle en déplace les plages afin qu’on puisse en comprendre la nature linguistique.
Jean-Paul Gavard-Perret
Bettina David-Fauchier, Architectures de vides, Non paginé, Editions Voix — Richard Meïer, 6620 Elne, 2012, 450 €.