Dès son avant-propos, Christophe Planchais précise la visée de ce qui dépasse le simple document : “Si horribles soient-ils, les cadavres des victimes de guerre ne disent plus rien. La parole et les émotions restent le fardeau des survivants qui doivent composer avec leurs souvenirs pour se reconstruire un avenir.” Et le livre explique comment vivre lorsque, par exemple, l’on croise un ancien tortionnaire des massacres du Cambodge.
Et l’auteur d’ajouter : “Que faire lorsque certains ressurgissent impunément à des postes de responsabilité malgré leur défaite ?”.
Les Khmers Rouges ont commis le pire au nom d’un système philosophique pervers selon une logique et une “cohérence” qui faisaient peu de cas du multiple et des contradictions. Le récit ramène à l’horreur d’une horde sauvage. Il devient un récit circonstancié. Christophe Planchais évite tout pathos même si les témoignages s’y prêtaient.
L’auteur rend intelligible ce qui dépasse la raison. Le tout souvent sous forme de dialogues avec les survivants et le cas de Sauth, victime des bourreaux et qui devient le noeud du texte. Il reste aussi une manière de montrer comment un homme et un pays tentent de se reconstruire dans l’écoulement du temps là où la brèche de l’horreur laisse bien des traces dans le comportement. Même les prostituées, par leur danse de séduction, créent des célébrations plus ou moins délétères de ce qui fut tout en s’auto-mutilant.
Une longue quête sous forme “d’aventure” anime donc ce texte terrible et juste. Sauth permet à travers sa propre histoire de remonter l’Histoire, ses censures, ses meurtres, ses contradictions là où la maltraitance (euphémisme) des enfants fut une phénomène parmi d’autres. Mais les traumatismes et amnésies suivent leur cours, même lorsque les victimes ont été prises en charge.
“Ça m’inquiète beaucoup pour lui parce que sa barricade lâchera un jour sans prévenir avec des conséquences pour lui et pour les autres impossibles à prévoir” dit une de celles qui tentent de sortir Sauth de son marasme.
Le livre permet de comprendre combien il est difficile de se sauver de la folie meurtrière comme du remord et de s’abandonner afin de recréer une cohérence défaite . Tout semble pourtant avoir une fin au nom de l’amour que certains sauveteurs/sauveurs portent aux humains : “Vous seuls pourrez apporter à nos enfants la confiance et l’amour dont ils ont besoin comme vous l’avez fait pour moi. Par amour, vous avez récupéré un garçon à moitié mort et vous l’avez remis sur pied” dit Sauth.
Pour autant, rien n’est acquis dans une telle thérapie puisque le récit se termine par ces derniers mots du “héros” malgré lui et qui, lui-même, s’est “compromis” par-delà sa torture et sa résurrection : “C’était une grave erreur parce que maintenant je vous en colle deux cents bien amochés des deux sexes.”.
Mais, contre le combat de la mort de jadis, doit faire place celui pour la vie.
jean-paul gavard-perret
Christophe Planchais, Sauth ?, Z4 Editions, Le Monthury, 39300 Les Nans, 2020, 248 p.