Une espionne mythique ou une femme broyée ?
Cette série, en partenariat avec Patrick Pesnot qui anime une émission portant ce titre le samedi sur France Inter, en est à son troisième opus. Après La Chinoise qui conte l’histoire d’un comptable de l’ambassade de France à Pékin, L’Affaire de la Baie des cochons, célébrissime récit d’un fiasco, la collection s’enrichit avec Mata Hari. Que n’a-t-on pas écrit sur la trajectoire de cette femme qui émergea au cœur de la Belle-Époque et qui fit les beaux-jours, les délices du Tout-Paris ?
Virginie Greiner démonte la mythologie qui entoure sa vie et éclaire le personnage d’un angle différent, montrant une femme bien éloignée de la beauté fatale qu’on s’est plu à dépeindre. Certes, la vie mondaine dans laquelle elle a été entraînée, le succès, le fait de se dévêtir sensuellement ont ouvert la voie à tous les fantasmes. L’auteure entreprend de raconter la trajectoire de cette personnalité et parallèlement fait replonger dans le bouillonnement artistique qui secouait la Belle-Époque.
Le récit commence le 13 février 1917, à Paris, quand un commissaire de police investit la suite de Lady Macleod, pour l’arrêter. Elle est accusée de crime d’espionnage contre la nation française. Celle-ci n’est pas inquiète, pensant que le capitaine Ladoux va éclaircir le malentendu.
Le scénario replace l’action à Paris, de nos jours, où le jeune Patrick Pesnot retrouve Monsieur X pour la visite d’une exposition dénommée Du No à Mata Hari — 2000 ans de théâtre.
En 1889, Émile Guimet est considéré comme un des meilleurs experts des civilisations orientales. Il a ouvert un musée pour exposer ses collections. C’est lui qui, dans sa bibliothèque, présente Margaretha Geertruida Zelle au Tout-Paris le 13 mars 1905. Elle a pris le pseudonyme de Mata Hari (Pupille de l’aurore en javanais).
C’est un spectacle de danses exotiques, de danses érotiques avec le sacré pour alibi. En fait, Mata Hari invente le strip-tease. C’est lors de son séjour en Indonésie avec son militaire de mari qu’elle s’est initiée, par désœuvrement, aux danses locales à couleurs sacrées. Elle séduit le public et fait des triomphes partout où elle se produit.
À Monte-Carlo, en février 1906, elle tombe amoureuse d’un officier prussien. Elle va le suivre à Berlin. C’est alors le début d’une longue descente aux enfers qui la conduira à un poteau d’exécution en 1917.
Virginie Greiner restitue avec bonheur le parcours de cette femme libre – n’a-t-elle pas divorcé ! –, cosmopolite, devenue le jouet de manipulations conjuguées des services secrets allemands et français, un jouet qu’ils ont cassé. La reconstitution graphique est du plus bel effet avec les dessins délicats, épurés, d’une grande finesse d’Olivier Roman et la mise en couleurs pastel de Scarlett Smulkowski.
Les planches enchantent l’œil, pas seulement par la plastique de l’héroïne, pour le rendu des décors de la Belle-Époque, les intérieurs, les accessoires, les vêtements… Les poses de la danseuse, à la fois lascives et dynamiques, sont rendues avec réalisme. Un dossier complète l’album, donne plus de précisions sur les principaux protagonistes de ce drame et une biographie de l’héroïne richement illustrée.
Avec ce Mata Hari, Virginie Greiner rend un bel hommage à cette femme devenue une légende, lui restituant sa dimension humaine.
serge perraud
Virginie Greiner (scénario), Olivier Roman (dessin), Scarlett Smulkowski (couleurs), Rendez-vous avec X – Mata Hari, Glénat– Comix Buro, coll. “Hors collection”, octobre 2019, 64 p. – 14,95 €.