Thomas Tanase, Histoire de la papauté en Occident

Les papes, l’Europe, l’Occident et le monde

L’his­toire de la papauté, elle non plus, n’échappe pas au prisme de la glo­ba­li­sa­tion. Pour preuve, la très remar­quable étude de Tho­mas Tanase qui décrit, avec maî­trise, l’histoire de l’évêché de Rome, depuis l’ensevelissement sur la col­line du Vati­can d’un ancien pécheur mar­ty­risé pour sa fidé­lité au Christ  jusqu’au pape Fran­çois, dont le pon­ti­fi­cat marque une étape cru­ciale pour le pou­voir pon­ti­fi­cal dont on n’a pas tou­jours conscience.
Disons-le d’emblée, Tho­mas Tanase fait preuve dans son intro­duc­tion d’une liberté de ton et de pen­sée très appré­ciable, démon­trant ainsi qu’il ne se laisse pas enfer­mer dans tel ou tel schéma pré­fa­bri­qué. Son hon­nê­teté sur la ques­tion Pie XII, ses ana­lyses équi­li­brées sur le pape Fran­çois, sa rigueur sur les époques dites contro­ver­sées (Inqui­si­tion, Renais­sance) autant que sa clair­voyance sur les erreurs et les dérives de l’époque post­con­ci­liaire font de son livre, agréable à lire et dense en infor­ma­tions,  une source de réflexion très intéressante.

Le cœur de sa démons­tra­tion tend à prou­ver que la papauté a lié son des­tin à l’Europe de l’ouest (la chré­tienté médié­vale) en s’arrachant à l’Empire byzan­tin. Elle l’a façon­née, unie par la foi et la culture, recueillant l’héritage de la Rome antique, puis l’a accom­pa­gnée tout au long de sa trans­for­ma­tion en un Occi­dent moteur d’une mon­dia­li­sa­tion qui prit ses traits, pour le pire comme pour le meilleur.
Une papauté uni­ver­selle certes, mais « intrin­sè­que­ment d’Europe occidentale ».

Autre élé­ment struc­tu­rant : le lien avec les Etats sur les­quels les papes se sont appuyés, qu’ils ont légi­ti­més tout en vou­lant les influen­cer, voire les contrô­ler et même les inté­grer dans cet espace supra­na­tio­nal auquel ils n’ont jamais cessé de rêver, jusqu’au pape argen­tin. Or, depuis la Révo­lu­tion fran­çaise, Rome se détache des Etats, ren­for­çant sa cen­tra­li­sa­tion et cette nature glo­bale qui atteint aujourd’hui son maxi­mum, et peut-être ses limites.
Car, comme l’auteur le sug­gère avec per­ti­nence, à l’heure du retour des fron­tières, des Etats pro­tec­teurs et des iden­ti­tés natio­nales, tous mena­cés par une mon­dia­li­sa­tion deve­nue folle, la papauté de Fran­çois se veut l’incarnation de la trans­na­tio­na­lité, de l’ouverture géné­ra­li­sée, d’une mon­dia­li­sa­tion certes alter­na­tive mais quand même globale…

Thomas Tanase se pose alors la ques­tion taboue : ce pape dit pro­gres­siste marche-t-il avec retard ? Autre­ment dit, le monde qu’il défend n’est-il pas déjà désuet ? Ce qui expli­que­rait les cris­pa­tions et même le rejet qu’il sus­cite chez nombre de catho­liques euro­péens ?
« A moins d’analyser, écrit l’auteur, l’élection du pape Fran­çois comme l’anticipation de la décom­po­si­tion de l’ensemble atlan­tique, et une forme de désoc­ci­den­ta­li­sa­tion du monde ».
Bref, la papauté a-t-elle déjà enterré l’Europe chrétienne ?

fre­de­ric le moal

Tho­mas Tanase, His­toire de la papauté en Occi­dent, Gal­li­mard, Folio his­toire, novembre 2019, 592 p. — 11,40 €.

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