Sans la moindre esbroufe, Mathieu Lindon, au lieu de créer un corpus homogène, juxtapose et mêle diverses approches de scènes vues, de situations et de déconstructions littéraires. Le “je” dont il est question est sans contexte un autre.
Pas question pour l’auteur de se mettre en exergue sinon dans le flux de conscience qui emporte ces divers moments de vie. Ils frisent parfois l’essai philosophique.
La pensée se construit à mesure que les formes se déploient et cheminent au moment où l’écriture regagne en ambition par rapport aux derniers livres de Lindon. Chaque moment définit des creux, des vides qui prennent valeur d’aura.
Le roman passe de l’endroit où tout se laisse dire dans un espace où tout se perd, proche d’un chaos et à proximité d’un pur insaisissable, comme si le plus dur à affronter n’était pas la mort d’une certaine idée de la fiction mais une naissance à réinventer là où se dessine l’indécidabilité de l’existence ou de l’inexistence.
Peu à peu, Lindon s’approche d’un nouveau modèle narratif qui pourrait peut-être un jour se coaguler en ce que Montaigne inventa avec ses Essais.
Après Rages de chêne, rages de roseau l’auteur poursuit donc sa route par “sauts et gambades” comme écrivait son illustre devancier. Nous ne savons pas encore jusqu’où elle nous mènera.
jean-paul gavard-perret
Mathieu Lindon, Moi, qui que je sois, P.O.L éditeur, Paris, 2020, 400 p. — 21,90 €.