Encore plus inconnues que les espions: les espionnes !
Quand on parle d’espionnes, deux noms viennent immédiatement à l’esprit, Milady et Mata-Hari : Milady de Winter et Margarita Geetruide Zelle. La première est née sous la plume prolifique d’Alexandre Dumas, la seconde n’a été que le jouet de deux ou trois services secrets et a été sacrifiée pour tenter de calmer les révoltes de 1917.
Mais Alexandre Dumas, avec la complicité d’Auguste Maquet, son historien, ne se sont-ils pas inspirés de la vie de la comtesse de Carlisle qui s’avéra une She-Intelligencer de haut-niveau ? La Rochefoucauld cite, dans ses Mémoires, le fait qu’elle a volé deux ferrets de diamants à Buckingham dont elle fut la maîtresse.
L’auteur débute le récit de ces femmes oubliées en racontant l’existence des premières espionnes dûment identifiées que sont les She-Intelligencer, une poignée de femmes issues de l’aristocratie de Grande-Bretagne. Elles ont œuvré lors de la guerre des Trois Royaumes entre 1639 et 1640, dans les conflits des années 1650–1660 tant pour les rois, les prétendants au trône que pour le Parlement.
Remi Kauffer présente ainsi nombre de ces femmes, de Diana Stewart à Henriette d’Orléans, qu’elles aient espionné dans les pays qui comptaient en Europe ou au Nouveau Monde.
Plus récemment, de très nombreuses femmes ont joué des rôles d’espionnes lors des deux Guerres Mondiales. Il raconte ces Françaises chefs de réseaux dans la Résistance, le front invisible de Staline et d’Hitler. Il expose les situations diverses, les chanceuses, les scandaleuses, les saboteuses, les tueuses, les taupes et les chasseuses de taupes, les héroïnes, les manipulées, les sacrifiées…
L’historien consacre une large part de son travail à ces héroïnes, dressant leur portrait, détaillant leurs missions. Or la paix revenue, les “vaillants” guerriers les ont renvoyées dans leur foyer s’occuper de leurs casseroles et des mioches plantés à qui mieux-mieux. Ne fallait-il pas reconstituer les populations massacrées !
Kauffer explore le travail de ces espionnes qui œuvrent dans les services de renseignements en activité (et qu’ils sont nombreux !!!), que ce soit la CIA, la DGSE, le Mossad, le MI6, le SVR russe, le Guoanbu chinois… Quand, après la lecture de ces exploits réalisés par toutes ces espionnes, l’historien livre les opinions, les avis formulés par des « as » du renseignement qui décrivent les faiblesses des femmes, tels Robert Boucard et Gert Buchheit, on peut rire. Le premier énonce doctement dans un livre de 1932 : “Une femme normalement douée peut, à l’égal d’un homme, devenir un parfait détective…” ; le second, dans un article, lie la réussite des missions : “…à leur état général entièrement régi par le monde de leurs émotions qui changent comme chacun sait.“
Remi Kauffer propose, avec ce livre, une réhabilitation de ces femmes qui ont risqué leur liberté, leur intégrité, leur vie pour donner des informations, sauver des existences et influer sur les événements. Il livre des portraits saisissants, le détail des missions, des révélations, transformant ses récits en thriller.
serge perraud
Rémi Kauffer, Les femmes de l’ombre, Perrin, octobre 2019, 512 p. – 25,00 €.