Sexe, survie, sacré et road movie
Il y a beaucoup de femmes dans ce roman. Une entre autres :” Elle s’appelait Karin Wartz, mais je l’appelais Warum car elle ne cessait de répéter ” Warum ?” sitôt qu’on parlait de littérature. Warum ?… Pourquoi ?… Pourquoi le roman change-t-il ? Et en quoi change-t-il ? Et pourquoi ne sait-on jamais en quoi il va changer… ! Excellentes questions qui rongent le sommeil de l’écrivain, de leurs dents petites et brillantes. “
Mais, pour autant, elle n’a pas plus d’importance que les autres. Enfin presque. Car n’est-ce pas pour elle que l’auteur entreprend son dernier voyage ?
Le narrateur l’aime comme il aime sincèrement toutes les femmes même s’il se contente de les observer. Ou peut-être de s’en accommoder. Mais, contrairement à certaines de ses fictions, ce Warum de Bourgeade n’est pas directement un roman libertin. Il est fait de souvenirs, de nostalgies mais comme l’était l’auteur : toujours allègre. Il y va de l’hédoniste.
Et le narrateur est la copie conforme de l’auteur. Pour preuve, on n’apprend rien sur lui. Bourgeade est de ces auteurs qui ne s’attardent pas sur-eux-mêmes. Il est plus intéressé par la vie, son cours, les autres donc l’amour. Et le sexe, même s’il faut savoir y renoncer. Sans savoir où est la ligne rouge.
Et le roman avance, magnifique, mêlant paysages et femmes : « Autoroute. Ciel gris bleu. Nuages rapides, d’un gris soutenu, aux bords effrangés, d’un gris plus pâle. Souvenirs fugaces, s’effilochant. Deux cents? Trois cents femmes ? » Certaines femmes (sans compter les prostituées) ont de meilleures statitiques. Mais ne s’en vantent pas.
Harriet par exemple, l’amie américaine du narrateur. Pour elle, l’attraction sexuelle n’est pas un alibi mais le symptome de l’émotion qui se perpétue. Pour le narrateur aussi : “Même dans un motel, à soixante kilomètres de Paris, tout contre un échangeur d’autoroute, pour cinq cents francs”. Il suffit de trouver la fille de joie qui redonne aux vieux de quoi se sentir vivant surtout lorsqu’elles ont “les ongles rongés. Sur chaque ongle, il y avait une petite tache de vernis rouge”.
Vingt ans après sa publication, ce roman méritait sa réédition tant il fut passé sous silence. Il n’a pas pris une ride. C’est le livre du crépuscule et de la survie. Avec la notion du péché qu’il faut — mais pas plus — même si les fantasmes ont la vie dure. Pour preuve : “La bouche de la gare était le sexe béant d’une géante à demi allongée dont les deux jambes étaient le boulevard Magenta et le boulevard Sébastopol (…) et dont le ventre et le buste étaient ce grand morceau de ciel dressé, cuivré de lumières.“
Le narrateur de ce road-movie sait qu’écrivant encore cela à son âge il a le cerveau malade. Mais il faut ce qu’il faut. Et ce, pour les causes et les effets qui mènent jusqu’à l’anthropophagie.
Bon appétit Mesdames. Bon appétit Messieurs.
jean-paul gavard-perret
Pierre Bourgeade, Warum, Tristram, Auch, 2020 — 20,00 €.
Pierre , avec ou sans femme , était simple , émotif , touchant , tendre , timide , délicieux , attachant et d’un naturel tellement désarmant ! JPGP l’a honoré , à l’aune de sa vérité , en écrivant cet article .