Des chaises blanches sont installées devant deux grands panneaux blancs, fixes. Sans doute une salle d’attente. Deux femmes entrent et s’avancent dans l’eau dont le plateau est inondé. Elles engagent un dialogue direct, allusif. L’écriture de Lygre s’affirme par le biais d’un discours elliptique, qui essaie de dire la teneur, la fadeur de l’expérience et de ses profondeurs. Les protagonistes échangent – ou plutôt rapportent leur propos, des bribes de leur dialogue intérieur et partagent sans les actualiser les sentiments qui les traversent.
Nous sommes dans l’ordre d’une abstraction rendue effective : il s’agit d’une schématisation des rapports humains contemporains. Ceux-ci ont des répliques génériques ; ils parlent pour eux comme s’ils n’étaient pas eux. Leurs paroles procèdent d’une distanciation qui autorise la réflexion et les conduit à représenter un type. Alors que les entretiens, fluides et nourris, s’annoncent indéfinis, une rupture dramatique survient, qui va dynamiser la représentation et lui imposer une couleur sombre, par laquelle les eaux désormais ouvertes se font noires.
Le spectacle se déroule comme sur un fil ; l’omniprésence du milieu aquatique symbolise la fragilisation des existences. La démarche est difficile. Parfois ingrate, elle impose ses langueurs, sinon ses longueurs. Elle n’est jamais stérile et sollicite l’intime expérience de notre relative plasticité. La représentation se fait de plus en plus abstraite : les acteurs jouent plusieurs personnages. Ils racontent ce qui leur arrive. Le discours narratif à la première personne met les paroles prononcées en suspension.
Au fil de la pièce, les personnages en viennent à se chercher, semblant découvrir leur propre intériorité, comme des incrédules en instance de révélation. L’affaire se termine par l’image d’un être saturé, sans repères, éprouvé par ses propres basculements.
Original, dynamique, édifiant.
christophe giolito & manon pouliot
Nous pour un moment
d’Arne Lygre
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
avec
Anne Cantineau, Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Glenn Marausse, Pierric Plathier, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal.
Traduction française Stéphane Braunschweig et Astrid Schenka ; collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou ; lumière Marion Hewlett ; costumes Thibault Vancraenenbrœck ; son Xavier Jacquot ; maquillages/coiffures Karine Guillem ; assistanat à la mise en scène Yannaï Plettener.
Au théâtre de l’Odéon – Ateliers Berthier. Boulevard Berthier 75017 Paris
Création — durée 1h35 Du 15 novembre au 14 décembre Avant-premières les 13 et 14 novembre
20h du mardi au samedi, 15h le dimanche Relâche le 17 novembre
Production Odéon-Théâtre de l’Europe
avec le soutien de l’ambassade de Norvège à Paris et du Cercle de l’Odéon
Nous pour un moment d’Arne Lygre, traduction de Stéphane Braunschweig et Astrid Schenka, est publié chez L’Arche éditeur en 2019.