Nous pour un moment ( Arne Lygre / Stéphane Braunschweig)

Super­fi­cielles profondeurs

Des chaises blanches sont ins­tal­lées devant deux grands pan­neaux blancs, fixes. Sans doute une salle d’attente. Deux femmes entrent et s’avancent dans l’eau dont le pla­teau est inondé. Elles engagent un dia­logue direct, allu­sif. L’écriture de Lygre s’affirme par le biais d’un dis­cours ellip­tique, qui essaie de dire la teneur, la fadeur de l’expérience et de ses pro­fon­deurs. Les pro­ta­go­nistes échangent – ou plu­tôt rap­portent leur pro­pos, des bribes de leur dia­logue inté­rieur et par­tagent sans les actua­li­ser les sen­ti­ments qui les tra­versent.
Nous sommes dans l’ordre d’une abs­trac­tion ren­due effec­tive : il s’agit d’une sché­ma­ti­sa­tion des rap­ports humains contem­po­rains. Ceux-ci ont des répliques géné­riques ; ils parlent pour eux comme s’ils n’étaient pas eux. Leurs paroles pro­cèdent d’une dis­tan­cia­tion qui auto­rise la réflexion et les conduit à repré­sen­ter un type. Alors que les entre­tiens, fluides et nour­ris, s’annoncent indé­fi­nis, une rup­ture dra­ma­tique sur­vient, qui va dyna­mi­ser la repré­sen­ta­tion et lui impo­ser une cou­leur sombre, par laquelle les eaux désor­mais ouvertes se font noires.

Le spec­tacle se déroule comme sur un fil ; l’omniprésence du milieu aqua­tique sym­bo­lise la fra­gi­li­sa­tion des exis­tences. La démarche est dif­fi­cile. Par­fois ingrate, elle impose ses lan­gueurs, sinon ses lon­gueurs. Elle n’est jamais sté­rile et sol­li­cite l’intime expé­rience de notre rela­tive plas­ti­cité. La repré­sen­ta­tion se fait de plus en plus abs­traite : les acteurs jouent plu­sieurs per­son­nages. Ils racontent ce qui leur arrive. Le dis­cours nar­ra­tif à la pre­mière per­sonne met les paroles pro­non­cées en sus­pen­sion.
Au fil de la pièce, les per­son­nages en viennent à se cher­cher, sem­blant décou­vrir leur propre inté­rio­rité, comme des incré­dules en ins­tance de révé­la­tion. L’affaire se ter­mine par l’image d’un être saturé, sans repères, éprouvé par ses propres basculements.

Origi­nal, dyna­mique, édifiant.

chris­tophe gio­lito & manon pouliot

 

Nous pour un moment

d’Arne Lygre

mise en scène et scé­no­gra­phie Sté­phane Braunschweig

avec
Anne Can­ti­neau, Vir­gi­nie Cole­myn, Cécile Cous­tillac, Glenn Marausse, Pier­ric Pla­thier, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal.

Tra­duc­tion fran­çaise Sté­phane Braun­sch­weig et Astrid Schenka ; col­la­bo­ra­tion artis­tique Anne-Françoise Ben­ha­mou ; lumière Marion Hew­lett ; cos­tumes Thi­bault Van­crae­nen­brœck ; son Xavier Jac­quot ; maquillages/coiffures Karine Guillem ; assis­ta­nat à la mise en scène Yan­naï Plet­te­ner.

Au théâtre de l’Odéon – Ate­liers Ber­thier. Bou­le­vard Ber­thier 75017 Paris

Créa­tion — durée 1h35 Du 15 novembre au 14 décembre Avant-premières les 13 et 14 novembre

20h du mardi au samedi, 15h le dimanche Relâche le 17 novembre

Pro­duc­tion Odéon-Théâtre de l’Europe

avec le sou­tien de l’ambassade de Nor­vège à Paris et du Cercle de l’Odéon

Nous pour un moment d’Arne Lygre,  tra­duc­tion de Sté­phane Braun­sch­weig et Astrid Schenka, est publié chez L’Arche édi­teur en 2019.

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