Avec quatre garçons, de la gastronomie, une ville fantasque et un pays en crise, le romancier conçoit une intrigue particulière mêlant satire sociale, polar, humour noir et ton déjanté. Déjà, la galerie des principaux protagonistes réserve bien des surprises entre la description de départ et la situation quelques années après. L’arrivée à Rio, dans un logement à Copacabana, était euphorique et si porteuse d’espoirs, de réussite, les études achevées.
Le narrateur ne cesse de compulser des ouvrages dans ce sens : Les Voies de la réussite, Les Secrets des hommes les plus riches du monde, Apprenez à sortir vainqueur de toutes les situations…
En juin 2016, un jeune homme, dans un smoking ensanglanté, entre dans un commissariat de Rio de Janeiro pour avouer tout ce qu’ils ont fait. Ils sont quatre garçons de Pingo d’Água, une petite ville du sud du Brésil. Ils emménagent, en février 2010, à Rio pour poursuivre des études universitaires. Ils se connaissent depuis l’enfance et, naturellement, prennent un appartement en colocation.
Il y a Dante, le narrateur, venu étudier la gestion d’entreprise, Miguel qui se destine à la médecine, Hugo qui brille dans l’art culinaire et Leitão qui veut réussir en informatique. Les années passent. Survient, fin 2014, la crise économique qui brise les rêves de très nombreux Brésiliens, dont les quatre amis.
Hugo vivote en sautant d’un restaurant à un autre pour gagner une misère comme simple aide-cuisinier. Miguel est interne dans un hôpital public au fond d’une banlieue sinistre. Lietão n’a jamais passé ses diplômes. Dante est vendeur dans une grande librairie. Ils peinent à payer le loyer de leur appartement. Le coup de grâce arrive quand Dante apprend que les six derniers mois de loyer sont impayés. Sans règlement rapide, c’est l’expulsion. Pourtant, comme depuis le début, ils ont remis leur quote-part à Leitão qui est chargé de virer les fonds à l’agence. Celui-ci, devenu obèse, a gaspillé leur argent.
C’est Hugo qui trouve une solution. Ils vont organiser des repas, par le biais de Dinersecret.com, un site qui invite à manger au domicile d’un inconnu pour tenter une espèce d’aventure culinaire.
Le romancier se sert, pour contrecarrer les ambitions de ses personnages, des effets d’une crise économique qui rend le futur incertain et les possibilités d’emplois et de promotions plus restreintes. Avec un sens certain du récit, il place des flashbacks qui éclairent une situation, des attitudes, des réactions, des prises de position qui, sans quoi, seraient étonnantes. Et le passé de ces jeunes n’est pas exempt de problèmes.
Il met en place, de façon subtile, une spirale infernale qui jette les quatre protagonistes dans un jeu sans retour. Il décrit, sans fards, l’interdit, la clandestinité, la perversité, la perfidie. Il mène des parallèles audacieux sur les liaisons entre les hommes et les animaux, sur les rapports avec la consommation carnée.
Montes traite, parallèlement au déroulé de son intrigue, une réflexion sociale, porte un regard lucide sur la religion, et brosse le portrait d’un Brésil quotidien bien éloigné des clichés habituels. Mais l’on retrouve les excès, l’hyper-violence. Il mêle à l’ensemble la prostitution et fait des comparaisons audacieuses entre celle-ci et l’absorption de viandes dans des dîners hallucinatoires.
Brillant mais étonnant, voire provocant, le roman de Raphael Montes ne laisse pas indifférent tant par le thème de son intrigue que par le traitement du récit.
serge perraud
Raphael Montes, Dîner secret (Jantor Secreto), traduit du portugais (Brésil) par François Russo, Éditions 10/18, coll. “Domaine policier” n° 5472, septembre 2019, 456 p. – 8,80 €.