Jean Echenoz poursuit sa machinerie romanesque motrice dont le langage et ses jeux perdent avec délice narrateur et lecteurs. Il leur fait remonter ici la carrière (peu connue…) de Gérard Fulmard car, selon le premier, il était temps d’en dresser les grandes lignes. Il est vrai que cette existence est quelque peu brouillonne. D’autant que, dans le roman, tout commence par un sinistre peu commun dont en général l’opinion sous-estime l’éventualité.
Après cet incident regrettable nous rentrons dans l’existence d’un narrateur quarantenaire, petit et rond (89 kg pour 1 mètre 68). Avant sa surcharge pondérale, il fut stewart puis créa, poids aidant, le “Cabinet Pulmard Assistance”.
Ce “spécialiste en rien hormis le service des plateaux repas en altitude” a préféré se présenter sous un jour généraliste. Cela ne mange pas de pain mais n’en fait pas gagner beaucoup. Il est vrai que notre Gérard est avide d’expériences diverses pour la simple raison qu’elles sont rarement des réussites.
Et le voici engagé comme homme de mains dans un parti politique qui lui sied à merveille : à savoir mineur.
Le peu de succès d’un tel parti n’empêche pas au contraire qu’il se transforme en lieu de passions et de complots. Fulmard a mis le pied dans un tel engrenage. Il croit y être tombé par hasard et en être la victime presque expiatoire, mais Echenoz prouve que la vie du héros n’est pas le fruit de circonstances qui lui seraient inopinément tombées dessus.
La vie de Fulmard est comme celle de tous les héros d’Echenoz : brute et ironique. Et c’est un moyen pour l’auteur de créer un étrange effet de vertige entre ce qui est dit et les reliquats du réel, leurs hiatus et leurs dérapages.
Chaque chapitre du roman est lui-même l’indice d’une perte plus que d’un aboutissement. Mais qu’on se rassure, le roman «finit» tant bien que mal. Echenoz y prouve une nouvelle fois son aptitude à rendre les êtres vivants à travers les choses et les situations. L’accumulation des moments chocs construit un univers dont les clés échappent aux personnages plus actés qu’actants.
Bref, le roman ouvre à une débandade. Elle ravira tout lecteur.
jean-paul gavard-perret
Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard, Editions de Minuit, 2020, 240 p. — 18,50 €.
Ironique et un peu psychiatrique le style Echenoz épouse la vie de Gérard Fulmard en permanente dérobade . A chacun d’y trouver son compte : ravissant ou navrant .