Blaise Cendrars, La légende de Novgorode

Les affres du monde

Selon la légende, Freddy Sau­ser devint poète à New York dans la nuit du 6 avril 1912. Il écrit Les Pâques à New-York, long poème ful­gu­rant rédigé d’un seul trait où s’exprime la détresse morale du jeune auteur au sein de la cité où “l’aube a glissé froide comme un suaire / Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs”.
Pour hono­rer cette révé­la­tion, il change de nom : Blaise Cen­drars naît.

Néan­moins, ce poème dit pre­mier n’est pas ini­tial. Il est pré­cédé par un livre long­temps perdu, oublié et par­fois remis en cause : La légende de Nov­go­rode. Il fal­lut attendre 1995 pour que le poète et biblio­phile bul­gare Kiril Kadiisky le retrouve en quasi lam­beaux chez un bou­qui­niste de sa ville. Il est écrit en russe sous le titre : Fre­de­ric Sause®, Légende de Nov­go­rod, tra­duit du fran­çais par R.R.  Sozo­mov — Mos­cou — saint Peters­bourg — 1907.
Sous la direc­tion de Myriam Cen­drars, les édi­tions Fata Mor­gana l’ont retra­duit en 1997 et le repu­blient aujourd’hui en une nou­velle édi­tion limitée.

Le livre (enri­chi d’illustrations de Pierre Ale­chinsky) est remar­quable. A 18 ans et presque ins­tinc­ti­ve­ment, le poète suisse refuse de jouer avec les vieille­ries et entame un par­cours où il s’agit déjà de cas­ser « la vais­selle ». Amou­reux et pris dans les pré­mices de la révo­lu­tion, il croit à un monde habité par le bien qu’il s’agit de pré­ser­ver et sur lequel plane “la voie Lac­tée (qui) ne tarira jamais et où vogue la lune, motte de beurre frais”.
Pas ques­tion de roman­ti­ser néan­moins. Le poète veut se lan­cer dans les affres du monde. Il sent déjà que ses mots pour­raient être “des pièces d’or” qui, au besoin, lui ser­vi­raient à payer les mar­chands afin de pou­voir pour­suivre ses aven­tures et “s’engouffrer dans la vie de la poé­sie”. C’était bien parti pour celui qui, quoique avide de gloire, laissa dans l’oubli et der­rière lui ce pre­mier  poème. Il tord le cou  - par ses scan­sions et son mou­ve­ment — à tout ce qu’une lit­té­ra­ture com­mune peut avoir de fre­laté, com­plai­sant ou surfait.

jean-paul gavard-perret

Blaise Cen­drars, La légende de Nov­go­rode, édi­tions Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2019, 64 p.

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