Ricardo Romero, Je Suis l’hiver

Un Fargo argentin

« Pampa Asiain n’a jamais rêvé d’être poli­cier. Il n’a jamais rêvé de rien. S’il avait eu le choix, il serait quelqu’un qui ne dort ni ne rêve. » (p. 21). Au sor­tir de l’école de police, pour­tant, Pampa Asiain prend son pre­mier poste au fin fond de l’Argentine, dans la petite ville de Monge, per­due dans l’hiver gla­cial et nei­geux à quatre cents kilo­mètres de Bue­nos Aires.
À Monge, outre le com­mis­sa­riat, il n’y a pas grand-chose : le route qui tra­verse la ville, le bar où se retrouvent et boivent quelques habi­tués, une quin­caille­rie et des mai­sons aban­don­nées. Au poste de police, on tâche de pas­ser le temps en se tenant com­pa­gnie pen­dant les gardes et grâce à la radio quand elle veut bien fonc­tion­ner : la plu­part du temps, c’est plu­tôt « la fri­ture avec laquelle ils ont appris à coha­bi­ter » (p. 53).
À Monge, la nature est reine, on s’y plie car elle est immense par com­pa­rai­son avec la peti­tesse des hommes et de leur vie. C’est jus­te­ment parce que la météo tourne à la tem­pête de neige que Pampa est envoyé en recon­nais­sance au bord du lac, afin de véri­fier qu’aucun acci­dent ne s’est pro­duit. Là, alors que dans une impul­sion comme il en a par­fois, contre toute attente Pampa a plongé dans les eaux gla­cées du lac, il aper­çoit le cadavre d’une jeune femme pendu à un arbre. La décou­verte en elle-même est pré­sen­tée de façon par­ti­cu­liè­re­ment carac­té­ris­tique de ce roman beau et poé­tique : « D’un arbre robuste, à quelques mètres du bord, une femme pend. Le corps d’une femme. Pampa n’a pas peur, mais plu­tôt honte. Il vient de se rendre compte qu’il est nu. » (p. 21).

Le livre est divisé en longs cha­pitres qui ont pour titre un ou des pré­noms, à mesure de l’arrivée des pro­ta­go­nistes : cha­pitre 1 (Pampa), cha­pitre 2 (Pampa, Gre­tel), cha­pitre 3 (Pampa, Gre­tel, Orlosky, la Direc­trice)…
Per­son­nages prin­ci­paux à la fois durs et en souf­france, si bien qu’on ne peut évi­ter l’empathie quoi qu’ils fassent, aux­quels il faut ajou­ter des secon­daires, comme Parra, le volu­bile col­lègue de Pampa, qui ne sup­porte ni la soli­tude ni la silence ; Irina, la mys­té­rieuse clo­charde qui rit sans qu’on sache pour­quoi (d’ailleurs, le sait-elle ?) et fait brû­ler les croix du cime­tière pour se chauf­fer parce que « Il n’y a pas de meilleur feu que celui des croix des morts » (p. 203) ; Este­ban, le petit ami de Gre­tel qui a peut-être aussi un lien avec un autre per­son­nage, mais loin de moi l’envie de spoi­ler ; et puis les morts… notam­ment le père violent de Pampa, depuis la mort de qui il rem­plit un cahier de la phrase « Je suis l’hiver ».

Roman noir dans un pay­sage blanc (men­tion spé­ciale à la cou­ver­ture), Je Suis l’hiver oscille élé­gam­ment entre le glauque et l’onirique, met­tant en scène des per­son­nages soli­taires qui évo­luent dans une nature toute-puissante. Après la décou­verte du corps, que Pampa le tai­seux choi­sit de ne pas rap­por­ter à sa hié­rar­chie, le lec­teur avance avec lui dans la com­pré­hen­sion pas à pas de la situa­tion (au rythme de Pampa, qui d’ailleurs a pour habi­tude de les comp­ter, ses pas).
Si vous aimez et recher­chez la fré­né­sie des page-turners de l’école amé­ri­caine, pas­sez votre che­min. Pour­tant, l’histoire avance bel et bien, le lec­teur étant éclairé tour à tour par les nar­ra­tions paral­lèles en flash-backs de cer­tains per­son­nages, des pas­sés qui expliquent à la fois qui ils sont, pour­quoi ils sont où ils sont et com­ment ils sont arri­vés là.

agathe de lastyns

Ricardo Romero, Je Suis l’hiver, tra­duit de l’espagnol (Argen­tine) par Maïra Much­nik, Asphalte, jan­vier 2020, 208 p. – 21,00 €.

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