« Pampa Asiain n’a jamais rêvé d’être policier. Il n’a jamais rêvé de rien. S’il avait eu le choix, il serait quelqu’un qui ne dort ni ne rêve. » (p. 21). Au sortir de l’école de police, pourtant, Pampa Asiain prend son premier poste au fin fond de l’Argentine, dans la petite ville de Monge, perdue dans l’hiver glacial et neigeux à quatre cents kilomètres de Buenos Aires.
À Monge, outre le commissariat, il n’y a pas grand-chose : le route qui traverse la ville, le bar où se retrouvent et boivent quelques habitués, une quincaillerie et des maisons abandonnées. Au poste de police, on tâche de passer le temps en se tenant compagnie pendant les gardes et grâce à la radio quand elle veut bien fonctionner : la plupart du temps, c’est plutôt « la friture avec laquelle ils ont appris à cohabiter » (p. 53).
À Monge, la nature est reine, on s’y plie car elle est immense par comparaison avec la petitesse des hommes et de leur vie. C’est justement parce que la météo tourne à la tempête de neige que Pampa est envoyé en reconnaissance au bord du lac, afin de vérifier qu’aucun accident ne s’est produit. Là, alors que dans une impulsion comme il en a parfois, contre toute attente Pampa a plongé dans les eaux glacées du lac, il aperçoit le cadavre d’une jeune femme pendu à un arbre. La découverte en elle-même est présentée de façon particulièrement caractéristique de ce roman beau et poétique : « D’un arbre robuste, à quelques mètres du bord, une femme pend. Le corps d’une femme. Pampa n’a pas peur, mais plutôt honte. Il vient de se rendre compte qu’il est nu. » (p. 21).
Le livre est divisé en longs chapitres qui ont pour titre un ou des prénoms, à mesure de l’arrivée des protagonistes : chapitre 1 (Pampa), chapitre 2 (Pampa, Gretel), chapitre 3 (Pampa, Gretel, Orlosky, la Directrice)…
Personnages principaux à la fois durs et en souffrance, si bien qu’on ne peut éviter l’empathie quoi qu’ils fassent, auxquels il faut ajouter des secondaires, comme Parra, le volubile collègue de Pampa, qui ne supporte ni la solitude ni la silence ; Irina, la mystérieuse clocharde qui rit sans qu’on sache pourquoi (d’ailleurs, le sait-elle ?) et fait brûler les croix du cimetière pour se chauffer parce que « Il n’y a pas de meilleur feu que celui des croix des morts » (p. 203) ; Esteban, le petit ami de Gretel qui a peut-être aussi un lien avec un autre personnage, mais loin de moi l’envie de spoiler ; et puis les morts… notamment le père violent de Pampa, depuis la mort de qui il remplit un cahier de la phrase « Je suis l’hiver ».
Roman noir dans un paysage blanc (mention spéciale à la couverture), Je Suis l’hiver oscille élégamment entre le glauque et l’onirique, mettant en scène des personnages solitaires qui évoluent dans une nature toute-puissante. Après la découverte du corps, que Pampa le taiseux choisit de ne pas rapporter à sa hiérarchie, le lecteur avance avec lui dans la compréhension pas à pas de la situation (au rythme de Pampa, qui d’ailleurs a pour habitude de les compter, ses pas).
Si vous aimez et recherchez la frénésie des page-turners de l’école américaine, passez votre chemin. Pourtant, l’histoire avance bel et bien, le lecteur étant éclairé tour à tour par les narrations parallèles en flash-backs de certains personnages, des passés qui expliquent à la fois qui ils sont, pourquoi ils sont où ils sont et comment ils sont arrivés là.
agathe de lastyns
Ricardo Romero, Je Suis l’hiver, traduit de l’espagnol (Argentine) par Maïra Muchnik, Asphalte, janvier 2020, 208 p. – 21,00 €.