Entendre des voix est un bon moyen pour permettre au discours de se poursuivre. Même si l’auteur commence par une erreur de taille propre à tous les “schizophrènes” dignes de ce nom : il perçoit la voix de Dieu. Par chance pour Boutreux, celui-là est “une sorte de mongolien” qui ignore tout de son père. Mais le poète n’a pas pitié de lui même si dans la première partie de son livre il se fait expert en “coolitude”.
Néanmoins, l’auteur parle en vain à cette déité car c’est de la mauvaise graine. Mais, comme elle n’a pas existé, l’auteur la quitte (bons amis) après lui avoir serré la main, D’autres voix l’ont déjà remplacé dans le cortège des démons qui l’habitent. Certains sont des présences noires aux visages d’animaux et qui eux mêmes — comme Jeanne d’Arc - ont perçu des voix ou des ordres. Les dominants parlent en mots de feu mais d’autres qu’entend Boutreux ont servi de poupées russes ou de chair à canon aux premiers.
Le poète refuse néanmoins de devenir le dindon de leur face et ne suit pas la même routine que les perdants. Il reste rebelle à ceux qui voudraient le maintenir à sa place même s’il est facilement influençable. Pour autant, il ne se veut pas victimes du syndrome de Stockholm de ceux qui voudraient prendre racine dans son esprit et l’empêcher de continuer à scruter l’inconnu pour y trouver du nouveau.
Il existe soudain de belles exceptions dans les voix qui le guident : Ronsard, de Nerval, Gherasim Luca, Jude Stefan, Christophe Tarkos, Freud. Et, comme le souligne le poète, il manque sans doute des voix féminines. Hildegarde Bingen vient à la rescousse avant que Boutreux retombe en ses travers de porc humain : voici Jésus Christ qui, de grand yogi qui aime et ouvrit ses chakras, est tombé lui-même dans des erreurs suprêmes.
Ne restent alors que deux interlocuteurs valables : Platon et Lucifer. Ce dernier est bien méconnu puisque c’est une ado “vachement bien gaulée”. Par ses dons de chamane, elle permet à l’auteur de parler à son seul interlocuteur valable : lui-même. Boutreux trouve enfin un moyen de ne plus se perdre. Provisoirement peut-être, mais cela lui offre la belle occase de quitter “les métamorphoses poétiques un peu surfaites” qui plaisent tant aux poètes qu’ “aux us des gugusses / qui font métier de grand imagier / autoproclamé”.
L’auteur peut alors battre autant la campagne que le “faire” pendant que le premier est encore chaud. Il devient de plus en plus sûrement le peu qu’il est. Voire plus.
jean-paul gavard-perret
Julien Boutreux, J’entends des voix, illustrations de Dominique Spiessert, Editions Le Citron Gare, Montigny Les Metz, 2019, 90 p. — 10,00 €.