Julien Boutreux, J’entends des voix

Ne plus se perdre

Entendre des voix est un bon moyen pour per­mettre au dis­cours de se pour­suivre. Même si l’auteur com­mence par une erreur de taille propre à tous les “schi­zo­phrènes” dignes de ce nom : il per­çoit la voix de  Dieu. Par chance pour Bou­treux, celui-là est “une sorte de mon­go­lien” qui ignore tout de son père. Mais le poète n’a pas pitié de lui même si dans la pre­mière par­tie de son livre il se fait expert en “cooli­tude”.
Néan­moins, l’auteur parle en vain à cette déité car c’est de la mau­vaise graine. Mais, comme elle n’a pas existé, l’auteur la quitte (bons amis) après lui avoir serré la main, D’autres voix l’ont déjà rem­placé dans le cor­tège des démons qui l’habitent. Cer­tains sont des pré­sences noires aux visages d’animaux et qui eux mêmes — comme Jeanne d’Arc -  ont perçu des  voix ou des ordres. Les domi­nants parlent en mots de feu mais d’autres qu’entend Bou­treux ont servi de pou­pées russes ou de chair à canon aux premiers.

Le poète refuse néan­moins de deve­nir le din­don de leur face et ne suit pas la même rou­tine que les per­dants. Il reste rebelle à ceux qui vou­draient le main­te­nir à sa place même s’il est faci­le­ment influen­çable. Pour autant, il ne se veut pas vic­times du syn­drome de Stock­holm de ceux qui vou­draient prendre racine dans son esprit et l’empêcher de conti­nuer à scru­ter l’inconnu pour y trou­ver du nou­veau.
Il existe sou­dain  de belles excep­tions  dans les voix qui le guident : Ron­sard, de Ner­val, Ghe­ra­sim Luca, Jude Ste­fan, Chris­tophe Tar­kos, Freud. Et, comme le sou­ligne le poète, il manque sans doute des voix fémi­nines. Hil­de­garde Bin­gen vient à la res­cousse avant que Bou­treux retombe en ses tra­vers de porc humain : voici Jésus Christ qui, de grand yogi qui aime et ouvrit ses cha­kras, est tombé lui-même dans des erreurs suprêmes.

Ne res­tent alors que deux inter­lo­cu­teurs valables : Pla­ton et Luci­fer. Ce der­nier est bien méconnu puisque c’est une ado “vache­ment bien gau­lée”. Par ses dons de cha­mane, elle per­met à l’auteur de par­ler à son seul inter­lo­cu­teur valable : lui-même. Bou­treux trouve enfin un moyen de ne plus se perdre. Pro­vi­soi­re­ment peut-être, mais cela lui offre la belle occase de quit­ter “les méta­mor­phoses poé­tiques un peu sur­faites” qui plaisent tant aux poètes qu’ “aux us des gugusses / qui font métier de grand ima­gier / auto­pro­clamé”.
L’auteur peut alors battre autant la cam­pagne  que  le “faire” pen­dant que le pre­mier est encore chaud. Il devient de plus en plus sûre­ment le peu qu’il est. Voire plus.

jean-paul gavard-perret

Julien Bou­treux, J’entends des voix, illus­tra­tions de Domi­nique Spies­sert, Edi­tions Le Citron Gare, Mon­ti­gny Les Metz, 2019, 90 p. — 10,00 €.

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