Pour l’héroïne d’un tel livre délicieusement tendancieux, l’amour reste une histoire de narcissisme quitte à passer d’un objet à l’autre pour ce qui cause du plaisir. Quand l’un ne se plie en rien au fantasme espéré, un transfert peut habilement avoir lieu.
Barbara Polla prouve que l’amoureuse a besoin pour entretenir son désir de quelque chose ou de quelqu’un qui excelle dans l’accomplissement d’un travail plus libidinal qu’il n’y paraît. Certes, jouant les saintes femmes plus que les filles de l’air, la poétesse feint des dérivatifs — bref, c’est comme pour Freud et la cocaïne. Par ce plaisir, il a omis la fonction thérapeutique mais a inventé la psychanalyse.
En outre, Barbara Polla propose une manière de prolonger son Eloge de l’érection publié en 2016. Et si le fantasme du grutier (bien moins répandu que celui du pompier) tombe à l’eau, sa grue fera l’affaire. L’un et l’autre vont créer un système de “repons” qui permet à la maîtresse de cérémonie de s’offrir bien des dérives langagières et des manières de s’envoyer en l’air.
Certes, la démone genevoise feint de ne pas y toucher. Mais elle énumère divers processus de jouissance possibles. Et qu’importe s’il y a du vent dans les jupes ou les ferrures de la grue. Barbara Polla en profite pour ouvrir un temps lyrique non sans humour dans ce qui tient d’une fable. Qu’importe si les hommes et les grues qui bandent dans la ville et qui pourraient rendre heureuse la femme ne sont pas toujours les bons.
Barbara Polla émet la nécessité de ce qui est non seulement l’objet de procréation mais devient un matériel de chantier des plus sensuels. La poétesse l’évoque selon un rituel d’incarnation pour le moins équivoque. Tout est monté (des heures durant) pour le plaisir et le rêve de ses lectrices et de ses lecteurs.
jean-paul gavard-perret
Barbara Polla, Julien Serve, Moi la grue, Editions Plaine Page, coll. les Oubliés, Barjols, 2019 — 10,00 €.